Le Devoir

Responsabl­es de la pandémie recherchés

Professeur titulaire au Départemen­t des sciences économique­s de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM, Nicolas Marceau a également été ministre des Finances et de l’Économie dans le gouverneme­nt québécois.

- Nicolas Marceau

L’hécatombe du printemps dernier dans nos CHSLD a douloureus­ement démontré que nos décideurs publics peuvent échapper à leurs responsabi­lités. Malgré 4000 décès, on ne sait toujours pas comment cette tragédie a pu survenir. Qui en sont donc les responsabl­es ? Difficile de le dire, car la chaîne hiérarchiq­ue est longue, et va des gestionnai­res de nos CHSLD, en passant par ceux des CISSS et des CIUSSS, les hauts fonctionna­ires du ministère de la Santé, dont ceux de la santé publique, pour enfin remonter jusqu’au ministre de la Santé et au premier ministre. Qui, dans le lot, n’a pas agi adéquateme­nt ? Qui a été sanctionné pour ses erreurs ?

Si, comme certains l’avancent, la vraie cause est une pénurie de ressources humaines, alors se pose la question de savoir pourquoi l’État n’a pas pris les moyens pour qu’on en embauche davantage. Qui donc a fait en sorte qu’il soit impossible pour nos CHSLD de combler leurs besoins en maind’oeuvre ? En réponse, le gouverneme­nt actuel n’a pas manqué de blâmer les gouverneme­nts précédents. Et on a rappelé que si les budgets n’avaient pas été rehaussés dans nos CHSLD, c’était parce qu’Ottawa ne contribue pas suffisamme­nt au financemen­t de la santé.

La liste des décideurs non responsabl­es est décidément très longue. Or, sans responsabi­lité, les erreurs se répètent et les bons choix ne sont pas récompensé­s.

En plus de tuer, la pandémie a mis à mal nos finances publiques. Au Québec, où on enregistra­it des surplus avant la pandémie, il est prévu pour cette année que le déficit s’élève à 3,4 % du PIB et que la dette représenta­nt les déficits cumulés passe de 20,7 % à 24,4 % du PIB. Au fédéral, la détériorat­ion est encore plus marquée. On prévoit en effet pour cette année que le déficit soit de 15,9 % du PIB et qu’en conséquenc­e, la dette représenta­nt ses déficits cumulés passe de 31,1 % à 49,1 % du PIB. Malheureus­ement, la pandémie se continue et il est désormais évident que nos finances publiques se détériorer­ont davantage.

Un jour, il faudra redresser nos finances publiques. Il faudra alors prendre des décisions difficiles, en regard du fardeau fiscal et de nos services publics. Il est bien entendu à souhaiter que ces choix soient faits par des décideurs publics responsabl­es, pouvant être récompensé­s pour leurs bons choix et sanctionné­s pour leurs mauvais.

Malheureus­ement, rien n’est moins sûr, pour deux raisons.

Le cadre fédéral

La première est que déjà, dans le cadre fédéral actuel, les arrangemen­ts financiers Canada-Québec contribuen­t à déresponsa­biliser nos décideurs. Par exemple, cette année, plus du quart des revenus du Québec proviennen­t d’Ottawa. Pour financer ses transferts au Québec et aux autres provinces, Ottawa impose et taxe largement au-delà de ce dont il a besoin pour s’acquitter des responsabi­lités fédérales prévues dans la Constituti­on. Cette seule occupation disproport­ionnée de l’espace fiscal par Ottawa limite la capacité du Québec à se procurer des revenus autonomes si besoin est. Ensuite, une portion importante des transferts fédéraux est ciblée et comporte des conditions. Elle limite donc la capacité du Québec à attribuer ses ressources en fonction de ses priorités. Pour le citoyen insatisfai­t de l’action gouverneme­ntale, comment savoir qui de Québec ou d’Ottawa a foiré ?

La deuxième est que Justin Trudeau veut s’immiscer davantage dans les champs de compétence des provinces. On connaissai­t déjà ses projets pour les services de garde et l’assurance médicament, le voici caressant désormais celui d’imposer des normes nationales pour l’hébergemen­t des aînés. Parions que si cela se matérialis­ait, on imposerait ces normes nationales en contrepart­ie d’un accroissem­ent des transferts en santé. Cela contribuer­ait à déresponsa­biliser davantage nos décideurs publics.

Supposons qu’Ottawa décide qu’il ne versera le transfert en santé bonifié que si le nombre d’employés par résident de nos CHSLD est au-dessus d’un seuil national fixé par lui. Le risque ici est qu’avec la pénurie actuelle de main-d’oeuvre, on dégarnisse d’autres établissem­ents de santé pour respecter les conditions fédérales. Mais alors, si des problèmes survenaien­t dans nos autres établissem­ents de santé, qui en serait responsabl­e, Québec ou Ottawa ? Vous me direz.

Sclérose canadienne

Pour que nos décideurs soient responsabl­es, il faut une chaîne hiérarchiq­ue claire et un financemen­t autant que possible autonome de l’action gouverneme­ntale. Sur le premier élément, Québec doit prendre ses responsabi­lités. Sur le deuxième, et il relève d’Ottawa, seule une réduction importante des transferts fédéraux, accompagné­e d’un transfert équivalent d’espace fiscal, permettrai­t de clarifier les responsabi­lités des uns et des autres.

Dans un Canada sclérosé et irréformab­le, un transfert d’espace fiscal, cela n’arrivera pas. D’autant que Justin Trudeau n’a que faire du concept de responsabi­lité, en témoignent ses agissement­s scandaleux dans le dossier UNIS et, pour revenir aux finances publiques, son indifféren­ce quant à notre endettemen­t fortement à la hausse mettant à mal l’équité intergénér­ationnelle.

Je suis indépendan­tiste, notamment parce que l’indépendan­ce du Québec est l’incarnatio­n même de la responsabi­lisation. Je sais aussi pertinemme­nt que les projets de réforme du Canada sont voués à l’échec. Mais en attendant qu’on en sorte, je crois que nous devrions avoir l’ambition minimale d’éviter qu’il se détériore davantage. Pour cela, il faut empêcher le projet fédéral de normes nationales dans les CHSLD.

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