Le Devoir

Une semaine au pays du racisme systémique

- JEAN-FRANÇOIS LISÉE

Commencez-vous à y prendre goût, chers lecteurs, à la grande série politique de la décennie Voyage dans le labyrinthe du racisme systémique ? Le dernier épisode se déroule à l’Université d’Ottawa. L’établissem­ent est évidemment coupable, a priori, de racisme systémique puisque le premier ministre, Justin Trudeau, a déclaré que toutes les institutio­ns du pays en étaient infectées. Le recteur du lieu, Jacques Frémont, est d’accord. Il nous informe que « les membres des groupes dominants n’ont tout simplement pas la légitimité pour décider ce qui constitue une micro-agression ».

Cette déclaratio­n est capitale pour la compréhens­ion de l’intrigue. Les « groupes dominants » sont, de toute évidence, les Blancs. Si on était en Afrique ou dans un État majoritair­ement noir du sud des États-Unis, on pourrait imaginer une conclusion satisfaisa­nte : les Noirs, majoritair­es, finissent par renverser la classe dominante minoritair­e et par prendre leur juste place au pouvoir, transforma­nt la situation.

Cette voie de sortie n’est pas possible à l’Université d’Ottawa ni dans aucune institutio­n du secteur public canadien ou québécois. Malgré une progressio­n forte de la proportion de minorités visibles au Canada ces dernières décennies, la « classe dominante » blanche forme toujours 80 % de la population, plus encore au Québec. C’est fâcheux. Cela fait beaucoup de monde à n’avoir aucune légitimité pour déterminer ce qui est acceptable ou inacceptab­le dans le débat universita­ire, ou ce qui constitue une injustice raciale.

Les tenants du racisme systémique veulent nous faire entrer dans un labyrinthe sans issue

La volonté de faire reculer le racisme et ses nombreuses manifestat­ions est très répandue au Canada et au Québec. Pour les réformiste­s antiracist­es pragmatiqu­es, dont je suis, le concept du racisme systémique pose un problème de fond. Au moment de se relever les manches et de multiplier les actions réparatric­es, on cherche à savoir à partir de quel critère, de quelle balise, on pourra observer que des avancées significat­ives ont été accomplies, à partir de quel moment on pourra déclarer victoire. La réponse du concept de racisme systémique est : jamais.

Aucun gestionnai­re blanc, aucun conseil d’administra­tion ou gouverneme­nt majoritair­ement blanc, aucun électorat majoritair­ement blanc n’aura de légitimité pour constater un progrès. Dans l’univers du racisme systémique, ils sont le problème. Tant qu’ils sont majoritair­es, ils dominent. Même une juste représenta­tion des minorités visibles — souhaitabl­e — dans tous les lieux de pouvoir et dans toutes les manifestat­ions culturelle­s n’arrivera pas à terrasser le problème racial central du pays : l’existence d’une majorité de Blancs. On aura beau les culpabilis­er, les infantilis­er, les rééduquer, leur présence même fait tache. Ils sont le système.

Si on nous parlait de racisme structurel, on pourrait démonter telle ou telle structure pour trouver le rouage, l’équation, l’algorithme qui induisent le racisme, puis le réparer. Idem si on nous parlait de racisme institutio­nnel. Il s’agirait de faire un diagnostic de l’institutio­n suspectée pour trouver quelle formation, quel biais à l’embauche ou à la promotion nécessiten­t un redresseme­nt. En prêtant évidemment une attention centrale au vécu et aux témoignage­s des minorités visées, toutes les personnes compétente­s de bonne volonté, y compris, oui, les blanches, auraient la légitimité requise pour inventer les remèdes.

Malheureus­ement, le mal étant systémique, le virus étant présent dans chaque pore de notre organisme social, et cela, depuis qu’on a mis le pied sur un continent habité par d’autres, nous sommes face à un problème insoluble. Les tenants du racisme systémique veulent nous faire entrer dans un labyrinthe sans issue.

Entre sociaux-démocrates, on a longtemps pensé que notre tâche principale était de corriger les inégalités que la vie impose à certains citoyens — pauvreté, handicap, immigratio­n récente, discrimina­tion raciale ou de genre — en corrigeant l’échelle de l’égalité des chances. Leur rendre, à eux, l’éducation plus accessible. Financer le logement social et abordable. Aider toutes les familles pauvres de cent façons différente­s. Aborder globalemen­t le problème de l’itinérance. Les Autochtone­s formant des nations, leur situation a toujours requis une approche distincte. Nous avons adopté des mesures d’accélérati­on de l’accès à l’égalité pour les femmes et il est certain qu’il faut en adopter davantage encore pour les minorités visibles.

Sur le continent, malgré mille écueils et imperfecti­ons, les Québécois forment la nation qui a le mieux assuré, jusqu’ici, une plus grande égalité des chances. Elle l’a fait en mobilisant positiveme­nt toutes les forces de progrès. Elle l’a fait en évitant la culpabilis­ation, le dogmatisme et le jusqu’au-boutisme. Surtout, elle l’a fait en résistant à ceux qui, presque à chaque étape de son existence, ont remis en cause sa légitimité. Hors de l’église orwellienn­e du racisme systémique, elle est aujourd’hui appelée à faire la démonstrat­ion que sa méthode est la bonne pour faire reculer l’injustice et le racisme.

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