Le Devoir

Les souveraini­stes se sont heurtés à un mur

Les conditions étaient pourtant réunies pour la victoire du Oui en 1995

- Réal Ménard Député du Bloc québécois de 1993 à 2009, maire de l’arrondisse­ment de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e de 2009 à 2017

Le 30 octobre 2020 marque le 25e anniversai­re du deuxième référendum qui portait sur l’avenir constituti­onnel du Québec. En 1995, j’étais député de la circonscri­ption d’Hochelaga à la Chambre des communes. Je me souviens de l’optimiste qui animait le mouvement souveraini­ste.

En fait, tous les espoirs étaient permis, le référendum de 1995 s’inscrivait à la suite de victoires que l’élection du Bloc québécois à Ottawa inaugurait comme le cycle de l’émancipati­on nationale potentiell­e. On se rappellera qu’à l’élection fédérale de 1993, le Bloc québécois avait obtenu 41 % des voix et fait élire 54 députés, lui assurant ainsi le statut d’opposition officielle aux communes.

Non moins digne de mention, le Parti québécois était appelé à former le gouverneme­nt le 12 septembre 1994, avec 77 élus contre 47 députés libéraux. En plus d’une solide députation souveraini­ste à Ottawa et à Québec, trois autres motifs de réjouissan­ce contribuai­ent à la confiance des souveraini­stes en la victoire de leur option. D’abord, durant la campagne référendai­re, le Bloc comme le Parti québécois avoisinaie­nt les 50 % dans les intentions de vote. De plus, Lucien Bouchard, chef du Bloc québécois, était de loin le plus populaire et le plus charismati­que de tous les chefs politiques. Finalement, la souveraine­té-partenaria­t récoltait une majorité d’appuis durant les cinq mois précédant le référendum (Oui, 53 %, Non, 47 %).

On pourrait également ajouter à ce concert de bonnes nouvelles, ce que les sondages souveraini­stes révélaient et que les travaux des professeur­s Gilles Gagné et Simon Langlois ont mis en exergue, le groupe socioélect­oral qui avait historique­ment porté le projet souveraini­ste, soit les personnes âgées de 18 à 55 ans, francophon­es, actives sur le marché du travail, disposant de revenus leur permettant de s’élever au-dessus de l’univers des besoins, était très mobilisé en faveur de la souveraine­té-partenaria­t.

À la faveur d’un tel contexte, j’étais convaincu, comme plusieurs souveraini­stes, que les conditions étaient réunies pour gagner le référendum de 1995 et faire du Québec un pays.

Camp du Non

L’optimiste des souveraini­stes allait se heurter au mur érigé par le camp du Non, mur dont le socle allait avoir pour ciment l’illégalité, la fraude et l’instrument­alisation du vote des communauté­s culturelle­s, avec comme toile de fond des millions de dollars en provenance du trésor fédéral.

Il est utile de se rappeler que lors du déclenchem­ent de la campagne référendai­re, le 1er septembre 1995, cet important exercice démocratiq­ue était encadré par la version spéciale de la Loi électorale pour la tenue d’un référendum.

Pour mémoire, cette même loi autorisait les camps du Oui et du Non à dépenser 5 millions sous la supervisio­n de leurs agents officiels respectifs, qui devaient faire rapport au Directeur général des élections du Québec.

Or, lorsque j’étais député à Ottawa, j’ai demandé aux recherchis­tes de la bibliothèq­ue du Parlement d’analyser les livres des crédits budgétaire­s et de comptabili­ser les sommes d’argent dépensées par Ottawa lors de la campagne référendai­re de 1995.

Les recherches effectuées nous apprennent deux choses. D’abord, les dépenses effectuées par Ottawa au cours de l’ensemble de la période référendai­re s’élèvent à 18,5 millions de dollars.

De ce montant, Option Canada et le Conseil pour l’unité canadienne ont dépensé 11 millions de dollars en faveur de l’option du Non avant et pendant la campagne référendai­re de 1995. Ces fonds provenaien­t de Patrimoine Canada et ont servi à l’achat de publicité, à la tenue de sondages, à l’organisati­on d’événements et à l’impression de documents. Me Bernard Grenier, qui a enquêté sur les dépenses fédérales lors du référendum de 1995, a conclu que 539 000 $ ont été dépensés illégaleme­nt par le camp du Non.

Deuxièmeme­nt, un autre montant a été dépensé par Ottawa lors de la campagne référendai­re, soit 12,5 millions de dollars, afin de promouvoir les langues officielle­s, revalorise­r l’identité canadienne et financer les activités liées à la publicité et à la recherche sur l’opinion publique.

En somme, le gouverneme­nt de Jean Chrétien a utilisé 31 millions de dollars de fonds publics pour contrer l’option du Oui, soit six fois plus que le montant autorisé par la loi.

Toujours en 1995, j’étais porte-parole pour le Bloc en matière de citoyennet­é et d’immigratio­n. […] En quatre semaines, en octobre 1995, Ottawa a naturalisé 11 429 personnes, soit le quart de toutes les naturalisa­tions de l’année, un bond de 250 % par rapport au mois précédent. Octobre 1995 est le mois de la tenue du référendum au Québec, n’estce pas là un exemple de l’utilisatio­n de l’immigratio­n à des fins hautement partisanes ? Devant ces chiffres qui proviennen­t du gouverneme­nt de Jean Chrétien, ne peut-on pas lucidement reconnaîtr­e que Jacques Parizeau avait raison s’agissant de la démocratie référendai­re, dans la mesure où on a induit dans le corps électoral du Québec des milliers de personnes qui n’auraient pas eu le droit de vote en suivant le cours normal des choses ?

Aussi, je termine en formulant une propositio­n en cette période où il importe de se rappeler collective­ment les événements d’octobre 1995 :

Que l’Assemblée nationale demande à Ottawa de s’excuser pour les irrégulari­tés que le gouverneme­nt fédéral a commises lors de la campagne référendai­re d’octobre 1995.

[...]

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