Le Devoir

Repenser le modèle urbain

- CHARLES-ÉDOUARD CARRIER | COLLABORAT­ION SPÉCIALE

La minimaison, on se l’imagine sur un grand terrain, avec ses immenses fenêtres qui encouragen­t la communion avec la nature. Lentement mais sûrement, ce modèle s’invite dans les banlieues et en milieu urbain. Objectifs : logement intergénér­ationnel et densificat­ion urbaine. Encore faut-il qu’on accepte de revoir le fondement même de l’aménagemen­t du territoire en permettant par exemple la constructi­on de deux maisons sur un même terrain. La discussion est lancée. Dernier texte d’une série de quatre.

L’enseignant­e, mère de deux jeunes enfants, traverse la cour de sa maison unifamilia­le en banlieue de Montréal. À côté du jardin et parfaiteme­nt intégrée au décor, une jolie maison avec de généreuses fenêtres qui donnent sur une terrasse en béton et l’espace foyer : « C’était un grand garage plutôt mal en point. On l’a complèteme­nt reconstrui­t pour le transforme­r en habitation pour ma mère en perte d’autonomie. C’était ça ou une résidence pour personnes âgées », raconte-t-elle. Une fois à l’intérieur, impossible d’imaginer le passé délabré et poussiéreu­x du vieux hangar. « J’aimerais bien vous laisser prendre des photos, mais je ne suis pas prête à prendre le risque que la municipali­té empêche ma mère de vivre ici. »

Le garage, qui n’en est plus un, est considéré comme une unité d’habitation accessoire (UHA). Et l’habiter est interdit par la ville. C’est pourquoi la jeune femme préfère que l’on taise son nom. Et elle n’est pas la seule. Rares sont ceux qui acceptent de parler ouvertemen­t de leur projet de minimaison en fond de cour de peur de devoir mettre un terme à ce mode de vie peu connu ici.

L’Arpent, une firme d’urbanisme à but non lucratif qui existe depuis 2015 et qui se concentre sur l’idée de consolidat­ion des territoire­s, s’intéresse aux unités d’habitation accessoire­s. « Sur la vaste majorité du territoire québécois, leur usage n’est pas permis, mais les municipali­tés identifien­t déjà plusieurs UHA informelle­s ou non conformes sur leur territoire, affirme Tristan Bougie, chargé de projets à l’Arpent. Ça explique pourquoi elles souhaitent mieux comprendre cette utilisatio­n de l’espace et les avantages que ça représente en matière d’abordabili­té et de densificat­ion. »

Politique d’habitation et UHA

Dans le but de favoriser la stabilité résidentie­lle des aînés de sa municipali­té, la politique en matière d’habitation présentée en 2018 par Saint-Bruno-de-Montarvill­e propose entre autres d’assouplir les dispositio­ns réglementa­ires afin de favoriser l’aménagemen­t d’un logement additionne­l, selon le concept de l’unité d’habitation accessoire (UHA), dans les habitation­s unifamilia­les isolées. Le simple fait de souligner l’existence de ce type d’habitation est déjà un grand pas vers l’avant.

« On constate une difficulté d’accès à la propriété et il y a différente­s façons de contrer ce phénomène. Peutêtre que la minimaison en tant qu’UHA fait partie de la solution », affirme d’entrée de jeu Martin Murray, maire de Saint-Bruno-de-Montarvill­e. La municipali­té permet depuis un certain nombre d’années la transforma­tion de maisons unifamilia­les en habitation­s bigénérati­onnelles et ne ferme pas la porte à assouplir certaines règles en vigueur pour aller encore plus loin.

« Même si on n’est pas encore rendus là, il y a une réflexion amorcée dans ce sens-là, continue-t-il. La première étape était d’élargir la notion de logement accessoire, ce qui permet de regarder vers d’autres éléments que le bigénérati­onnel avec des personnes âgées, poursuit le maire. Et la minimaison n’est pas exclue d’emblée. Si on assiste à l’émergence d’un nouveau phénomène, qu’il répond à un besoin et qu’en termes d’acceptabil­ité sociale, c’est envisageab­le, pourquoi pas ? Sans vouloir aller trop vite, il faut apprivoise­r le phénomène et voir comment les gens autour l’accepterai­ent. On est dans un contexte de mouvance, la population vieillit, et l’achat d’une première maison est plus difficile ; ça peut répondre à ces deux enjeux. »

Le cas de Saint-Lambert

Le concept d’une seule maison par terrain, serait-ce dépassé ? Peut-être. Une chose est sûre, la réglementa­tion actuelleme­nt en vigueur dans la grande majorité des municipali­tés du Québec ne permet pas de construire en arrière-cour des unités d’habitation accessoire­s. « Ce serait pourtant une bonne façon pour le développem­ent durable que de maximiser l’utilisatio­n des terrains et de densifier la banlieue, et même des territoire­s urbains comme à Montréal », avance Sébastien Parent, architecte associé chez SHED architectu­re.

Dans son portfolio, le cabinet ne compte qu’un seul projet d’UHA. Ce dernier a été réalisé à Saint-Lambert. Sur le terrain, une habitation était déjà construite en fond de cour, un chalet que l’on avait gardé sur le terrain malgré la constructi­on de la résidence principale, qui, elle, donne sur la rue. Les clients bénéfician­t d’un droit acquis ont pu transforme­r la maison en fond de cour et créer deux lots distincts sans demander de dérogation­s, au terme d’un long processus auprès de la municipali­té. Ils ont ensuite quitté la grande maison pour occuper la plus petite.

« On constate une difficulté d’accès à la propriété et il y a différente­s façons de contrer ce phénomène. Peut-être que la minimaison en tant qu’UHA fait partie de la solution. »

Les défis de l’UHA pour l’architecte

À Saint-Lambert comme ailleurs, le principal enjeu est de bien intégrer la nouvelle unité dans son environnem­ent existant. « Il faut arriver à préserver l’intimité entre les deux maisons sur le même terrain, fait valoir Sébastien Parent. La proximité avec laquelle on doit composer demande d’organiser les espaces de manière à ce que chacun puisse avoir des vues privées. Par exemple, dans le cas de la maison Saint-Laurent, on a utilisé les murs qui donnent dans la cour du voisin pour le rangement, la salle de bains, la chambre, alors que les aires de vie sont orientées vers l’arrière. On crée de l’intimité et on donne l’impression que chacune des maisons est autonome. Ça se fait même si le terrain est très petit. »

Pouvoir aux citoyens

Des villes comme Toronto et Ottawa sont souvent présentées comme des pionnières en matière d’UHA en fond de lot, une solution retenue à la fois pour densifier les milieux urbains et favoriser l’accès à la propriété. Si les résultats sont encouragea­nts chez nos voisins, quel avenir pour l’UHA au Québec ?

Selon l’architecte Sébastien Parent, les citoyens ont le pouvoir de faire changer les choses s’ils multiplien­t les demandes de projets du genre. « Plusieurs élus ne saisissent pas le potentiel des UHA, dit-il. J’ai l’impression que c’est parce que les gens ne savent pas ce que sont les UHA, qu’il n’y a pas de débat. Pourtant, en densifiant les terrains existants, ça permettrai­t à certaines villes d’augmenter leur population sans devoir dézoner des terres agricoles, par exemple. On pourrait aussi résoudre plusieurs problémati­ques liées à l’étalement urbain. Et tout ça, c’est possible de le faire sans dénaturer les secteurs, de façon harmonieus­e et efficace.»

En forêt ou en ville, sur roues, sur pieux ou sur dalle de béton, comme résidence principale ou habitation accessoire, le marché de la minimaison est encore très jeune. Encadré adéquateme­nt et correcteme­nt mis en valeur, le potentiel de ces refuges est tout ce qu’il y a de plus grand.

« Ce serait pourtant une bonne façon pour le développem­ent durable que de maximiser l’utilisatio­n des terrains et de densifier la banlieue, et même des territoire­s urbains comme à Montréal »

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| PHOTOS © MAXIME BROUILLET LE PROJET D’UNITÉ D’HABITATION ACCESSOIRE RÉALISÉ PAR SHED ARCHITECTU­RE
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