Le Devoir

Art public

De LaSalle à Mercier, l’art invite à l’évasion, même en célébrant le temps présent

- PANORAMA JÉRÔME DELGADO COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Au moment où les « sorties culturelle­s » sont proscrites, les oeuvres d’art dans l’espace public gagnent à être vues et revues. Montréal en regorge ; une excellente raison d’aller prendre l’air sans compromett­re l’effort collectif dans la lutte contre la COVID-19. Qu’elles ouvrent des perspectiv­es ou éveillent des sons en nous, les cinq sculptures de ce nouveau circuit ont la capacité de nous faire voyager. Même littéralem­ent, tant les deux extrémités sont distantes. Second de deux textes.

1 Au grand dam (2016) de Jacques Bilodeau et Claude Cormier et associés

Elle a de la classe, du rythme et, malgré un apparent minimalism­e, un potentiel narratif prompt à nous envoyer ailleurs. Sur l’eau, pour être précis. Sa succession de marbres blancs, couchés ou debout, fait d’Au grand dam un rendez-vous nécessaire en temps de confinemen­t. Contemplat­ive et participat­ive, elle stimule autant l’imaginaire que le corps.

Par un jeu de verticales et d’horizontal­es digne du mouvement des vagues, l’oeuvre résonne avec le parc des Rapides de l’arrondisse­ment de LaSalle, où elle est située (près de la rue Lacharité). Or, l’ensemble de Jacques Bilodeau, réalisé avec une firme d’architecte­s paysagiste­s, fait plus qu’indiquer le Saint-Laurent, juste devant lui.

Ses lignes obliques, plutôt que simples verticales, tanguent. Elles poussent, comme un courant. Le déplacemen­t n’est pas qu’illusion. Monter sur le marbre, parce qu’on peut y monter, impose marche, grands pas, sauts. Si de loin Au grand

dam peut simuler la violence — le marbre semble s’extirper du sol avec fougue —, de près, ce sont la douceur du matériau et le bonheur de l’expériment­ation qui dominent.

2 Ondes (2005) de Marie-France Brière

C’est un tout autre envol qu’on prend du centre-ville. Au coeur du tumulte urbain, devant le pavillon de musique de l’Université McGill (527, rue Sherbrooke Ouest), le voyage sonore est possible. Empreint de poésie, il se matérialis­e sur et à travers un bloc en granit. C’est la force d’Ondes, réalisée dans le cadre de la politique d’intégratio­n des arts à l’architectu­re et à l’environnem­ent.

Le bloc a des apparences trompeuses. Son allure massive s’estompe dès qu’on s’en approche, qu’on l’observe. Sur deux côtés apparaisse­nt des ondes, lignes sinueuses creusées à même la roche. Marie-France Brière n’y a pas dessiné une partition, mais la réverbérat­ion d’un son imaginaire. Ou estce celui de la rue ?

En plus de se poser en écho au bruit ambiant et au bâtiment qu’il « intègre », Ondes est aussi miroir visuel. De jour ou de nuit, la lumière qui transperce le bloc magnifie quant à elle certaines lignes, jamais les mêmes, tant les environs, rue Sherbrooke, changent. Comme une variation sur le même ton.

3 Porte de jour (2004) de Jocelyne Alloucheri­e

Pour jouer les touristes dans sa ville, la population montréalai­se se rend sans hésiter dans le Vieux-Montréal. Pour un voyage dans le temps, il n’y a pas mieux. C’est sans surprise si une oeuvre dans le secteur en reprend l’idée. Ce qu’on y trouve cependant au square Dalhousie (rue Saint-Hubert, « sous » la rue NotreDame Est) n’a rien de l’attrapetou­ristes. La sculpture est signée Jocelyne Alloucheri­e, connue pour son soin à traiter du paysage et du passage du temps.

Réalisée en corten, acier apprécié pour sa rouille apparente, Porte de

jour se dresse en monument historique. Elle ne commémore pourtant ni un personnage ni un fait. Elle est libre d’interpréta­tion, bien que la

hauteur et l’épaisseur des structures rappellent les murs de jadis, entre la ville et ses faubourgs.

Si le corten établit un contraste avec le secteur résidentie­l neuf qui y a poussé, la forme donne à l’oeuvre son statut de passage. C’est une porte, dit son titre, mais une porte ouverte, laissant voir l’horizon, un avenir possible. Ça va bien aller, paraît-il.

4 Mélangez le tout (2011) de Cooke-Sasseville

Hors-norme, hors de l’esthétique minimalist­e de ce circuit, Mélangez

le tout invite tout autant à rêver qu’à s’éclater. Le sujet représenté peut être tiré du quotidien — un reconnaiss­able batteur à oeufs —, sa taille démesurée en fait un objet irréel. Aucun doute : ce monument du quartier Centre-Sud célèbre… le temps présent. Il pointe la mixité de nos sociétés actuelles et la mission communauta­ire du centre Jean-Claude Malépart (2633, Ontario Est), aux côtés duquel il s’élève.

Humour et langage pop sont des caractéris­tiques de Cooke-Sasseville, un duo qui n’a pas peur de rompre avec les traditions, à la manière de ce que faisait Claes Oldenburg dans les années 1960 et 1970. Moins polémique que les rouges à lèvres géants du sculpteur américain, Mélangez le tout joue les rassembleu­rs sans vergogne.

La référence à la cuisine dans l’espace public surprendra toujours, mais cette oeuvre ne pouvait pas être plus d’actualité qu’en 2020. En temps de confinemen­t, les activités culinaires n’ont-elles pas gagné en popularité ?

5 Continuum 2009 (à la mémoire de Pierre Perrault) (2009) de Roland Poulin

Sculpteur de la sobriété et du silence, pour ne pas dire du deuil, Roland Poulin rend hommage au cinéaste québécois sans l’évoquer (sauf dans le titre). Voici une autre oeuvre en

corten, dotée de son ouverture sur un large horizon, une autre oeuvre pointant le fleuve à proximité.

Le parc de la Promenade-Bellerive, dans le secteur le plus à l’est de l’arrondisse­ment de Mercier–Hochelaga-Maisonneuv­e, offre un cadre solennel pour saluer un disparu. C’est là que se dresse Continuum 2009 (à la mémoire de Pierre Perrault), entre les rues Paul-Pau et Taillon.

Dans sa commémorat­ion, Poulin évoque le père du cinéma direct décédé en 1999 et son approche de proximité avec les gens qu’il filme. La fenêtre de Continuum…, tel un cadre au cinéma, montre l’environnem­ent dans lequel l’oeuvre se trouve, sans exclure le hors-champ. Comme Pour

la suite du monde, l’oeuvre invite à faire d’un paysage, d’un site, de la nature, le sens d’une vie, une raison d’espérer. Pour se ressourcer, il n’y a peut-être pas mieux.

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Infographi­e Le Devoir
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Second circuit | De LaSalle à Mercier 2
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PHOTOS VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR 3
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