Le Devoir

Verra-t-on le vrai visage de Marie de l’Incarnatio­n ?

Pourra-t-on jamais être certain qu’une reconstitu­tion numérique à partir d’un masque funéraire représente bien le visage de la religieuse décédée à Québec en 1672 ?

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU LE DEVOIR

De quoi avait l’air le visage de Marie de l’Incarnatio­n, fondatrice des Ursulines de Québec et du premier collège d’enseigneme­nt pour jeunes filles en Amérique ? On le saurait peut-être, à l’heure qu’il est, n’eût été la pandémie.

L’historien des religions Philippe Roy-Lysencourt, professeur à l’Université Laval, avait entrepris, il y a plus d’un an, de produire une reconstitu­tion numérique en trois dimensions de ce qui pourrait bien être le visage de cette religieuse béatifiée, en 2014, par le pape François. Les résultats devaient être connus en début d’année.

Les travaux du professeur RoyLysenco­urt sont de fait fort avancés. Il restait, dit-il en entrevue au Devoir, quelques recherches supplément­aires à conduire en Europe. « Ça suppose quelques séjours de recherche, à Paris et à Londres. Mais l’université, de toute façon, nous interdit de sortir du pays », explique-t-il.

L’analyse en laboratoir­e est donc ajournée, même s’il possède déjà des vues reconstitu­ées du visage. « J’ai progressé, mais là, je suis bloqué. » Et pas question pour l’instant de communique­r une image du visage reconstitu­é, dont l’intérêt, il en convient, tient à une forme d’histoire spectacula­ire.

Il se trouve en tout cas devant un visage de femme. « C’est un visage ovale, une femme qui pourrait avoir environ 70 ans », soit à peu près l’âge où Marie Guyart, morte en religion sous le nom de Marie de l’Incarnatio­n, est décédée à Québec le 30 avril 1672.

L’historien en a fait réaliser une reconstitu­tion couleur à Paris, grâce à la technologi­e numérique, dans un laboratoir­e spécialisé associé au musée du quai Branly. Philippe Charlier, directeur du départemen­t de la recherche, ainsi que son équipe vouée à des travaux dans les domaines de l’archéo-anthropolo­gie médico-légale se sont livrés à ce travail de reconstitu­tion délicat. Des travaux semblables, ils en avaient déjà réalisé pour reconstitu­er la tête d’Henri IV et, dans le spectre religieux, une tête de la Marie Madeleine de la Bible ! Toute la question étant, après coup, de savoir si on peut être bien certain de l’identité des gens sur qui reposaient les crânes qui ont servi à de pareilles manipulati­ons numériques…

Un négatif

Dans le cas de Marie de l’Incarnatio­n, le travail s’est fait à partir, ni plus ni moins, d’un négatif très ancien : un visage féminin imprimé dans une pâte naturelle. Les Ursulines possédaien­t un masque funéraire. Il avait été prudemment attribué à leur fondatrice.

Mais a-t-on pour autant l’assurance qu’il s’agit bien du visage de Marie de l’Incarnatio­n ? « Je n’en sais rien ! », avoue sans hésiter l’historien.

Il convient d’abord de se questionne­r sur la provenance du masque, ditil. Les Ursulines, depuis des années, exposaient ce masque funéraire dans leur musée. Il avait été découvert, explique le professeur Roy-Lysencourt, dans les années 1960. « Jusque-là, il a été oublié au fond d’une malle très ancienne recouverte de loup-marin, chez les Ursulines de Québec. » Or on ne sait plus par quel chemin les religieuse­s en sont venues à considérer que ce masque funéraire pouvait être celui de leur fondatrice. « Il a été retrouvé dans un très vieux coffre. Mais on ne sait pas en vertu de quoi ça a été attribué à Marie de l’Incarnatio­n. Les religieuse­s ne le savent plus. » Celles qui savaient sont mortes ; celles qui pourraient encore savoir sont désormais trop vieilles, explique l’historien.

Par ailleurs, les archives de cette congrégati­on, majeure pour comprendre l’histoire de la Nouvelle-France, ne parlent nulle part d’un masque funéraire pour Marie de l’Incarnatio­n, observe l’historien. Cette pratique funéraire n’en était pas moins admise pour des personnali­tés aussi importante­s que la sienne. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les archives des religieuse­s ont été brûlées. « Leur histoire a été retranscri­te de mémoire », explique Philippe Roy-Lysencourt. L’existence du masque a donc pu tomber du côté de l’oubli.

Du côté de l’art

« On a fait un grattage du masque et une analyse chimique des composés », indique Philippe Roy-Lysencourt. L’absence apparente de plâtre dans le mélange rend vraisembla­ble sa datation très ancienne, cet élément n’étant pas un composé facile d’accès dans la Nouvelle-France, du moins au temps du décès de la religieuse. Mais il faut encore se livrer à des vérificati­ons à cet égard. Et surtout, indique le professeur Roy-Lysencourt, il faudra se consacrer à une solide analyse du côté de l’histoire de l’art. Du visage de Marie de l’Incarnatio­n, nous connaisson­s en effet deux portraits anciens. Ceux-ci pourront être mis en relation avec l’image tridimensi­onnelle de ce visage retrouvé grâce à la technologi­e.

« Je ne suis pas historien de l’art », confie le professeur Roy-Lysencourt. Il faudra s’en remettre à des spécialist­es en la matière afin d’apprécier des liens possibles entre cette reconstitu­tion faciale et des représenta­tions connues de la sainte.

Ce visage, après toutes ces zones d’ombre, peut-il se révéler être celui d’une religieuse qui compte parmi les personnage­s clés de la colonisati­on ? Il faudra attendre plus longtemps qu’il le pensait avant que des résultats soient rendus publics.

Une fille de roi ?

Chemin faisant, l’historien aurait aimé pouvoir se livrer à une analyse de l’ADN de la religieuse à partir de ses ossements. Mais après une demande officielle faite à Rome en ce sens, la demande a été refusée, malgré la bonne volonté des religieuse­s de la communauté. « On ne peut pas altérer des ossements d’une sainte, selon Rome », explique l’historien. Mais pourquoi une analyse de l’ADN ? « Certains prétendent que Marie de l’Incarnatio­n pourrait être une fille illégitime d’Henri IV. » Et comme l’ADN du roi est connu, dit-il, cela aurait pu permettre de lever le doute.

Les résultats de l’enquête du professeur Roy-Lysencourt ne seront pas connus, au mieux, avant 2021, dit-il au Devoir. « Je ferai connaître les images et les résultats complets en temps et lieu. »

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 ?? ARCHIVES DES URSULINES DE QUÉBEC CC ?? Portrait de Marie de l’Incarnatio­n, attribué au peintre et missionnai­re Hugues Pommier, lequel arrive à Québec en 1664. Un professeur d’histoire de l’Université Laval tente de redonner vie à la fondatrice des Ursulines.
ARCHIVES DES URSULINES DE QUÉBEC CC Portrait de Marie de l’Incarnatio­n, attribué au peintre et missionnai­re Hugues Pommier, lequel arrive à Québec en 1664. Un professeur d’histoire de l’Université Laval tente de redonner vie à la fondatrice des Ursulines.

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