Donner de l’espoir
Les citoyens ont besoin de savoir ce qui les attend pour rester mobilisés, selon des experts
Le gouvernement Legault doit offrir « une lumière au bout du tunnel » aux Québécois pour diminuer le stress chronique lié à la pandémie et ainsi assurer une meilleure adhésion aux mesures de la santé publique, selon la directrice du Centre d’études sur le stress humain de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Sonia Lupien.
« C’est ça qui manque actuellement, a affirmé la chercheuse en neurosciences. On pense qu’en allant petit bout par petit bout, on va réussir à ne pas trop stresser les gens, c’est l’inverse à mon avis qui va arriver. »
« Les gens pensent que le stress qu’on a vu en mars, c’est encore le même stress aujourd’hui ; il n’y a rien de plus faux, a-t-elle ajouté. Ça change tous les jours et, là, le stress s’en vient chronique, on le voit très bien. »
Le fait que les gens n’ont pas la moindre idée de ce que l’avenir leur réserve est un facteur important. Par exemple, des participants à ses études ont appelé en panique à son bureau parce qu’ils croyaient que la pandémie allait durer vingt ans. Elle constate également un stress chez des étudiants en première année d’université qui pensent qu’ils devront faire les trois ans de leur baccalauréat à distance.
« Quand les gens vont être assez stressés, je ne sais pas s’ils vont suivre les règles », a-t-elle fait remarquer.
Or, le gouvernement se préoccupe peu de la santé mentale des Québécois, selon celle qui avait été conseillère durant les premières semaines de la pandémie. « Le problème que je vois actuellement, c’est qu’on ne donne aucune temporalité à l’adversité et qu’on enlève aux citoyens toutes les mesures qui pourraient leur permettre de négocier leur stress, a-t-elle souligné. On a fermé les gyms, c’est une
erreur ! […] On a fermé les salles de spectacles. On a fermé toutes les choses qui — aussi petites soient-elles — vont agir en diminuant [le stress]. »
À son avis, le gouvernement doit offrir divers plans de contingence à long terme pour que les gens aient une meilleure idée de ce à quoi ils peuvent s’attendre. « S’il y a un vaccin, combien de temps ça va durer ; s’il n’y en a pas, combien de temps ça va durer », a-t-elle dit à titre d’exemple.
Christian Desîlets, spécialiste de la communication sur les questions sociales à l’Université Laval, estime qu’il doit y avoir davantage de transparence sur les données qui sous-tendent les décisions de la Santé publique. Les gens comprendraient mieux ainsi pourquoi elle choisit d’imposer certaines mesures plutôt que d’autres. « La difficulté du gouvernement est de garder les gens mobilisés sur une très, très longue période de temps sans pouvoir dire quand ça va se terminer », a-t-il noté.
« Sur le plan de la communication, ce serait peut-être important qu’on se mette à parler d’autres choses que du virus, a ajouté le professeur. La société continue de fonctionner, il y a toutes sortes de dossiers… Ça ramènerait une certaine normalité. Ne parler que du virus, alors qu’on sait qu’on en a pour des mois, n’aide pas à passer au travers. »
Mobiliser la population
Pour mobiliser la population, la Dre Marie-France Raynault croit que le gouvernement Legault doit donner un horizon aux Québécois : encore deux semaines d’effort. « Si ça continue de descendre et que la descente est bien amorcée, on pourrait assouplir, précise la cheffe du Département de santé publique et de médecine préventive du CHUM. Ils [les autorités] devraient laisser entrevoir ça. »
Bien des gens, souligne-t-elle, craignent que le gouvernement Legault ne prolonge les mesures mises en place en zone rouge jusqu’au temps des Fêtes. « Ils se disent “ah, ils vont étirer ça jusqu’à Noël et on n’aura pas de Noël”, dit la Dre Marie-France Raynault. C’est un peu déprimant. Il faut
On a fermé les gyms, c’est une erreur ! […] On a fermé les salles de spectacles. On a fermé toutes les choses qui — aussi petites soient-elles — vont agir en diminuant »
[le stress]. SONIA LUPIEN
que les gens sentent qu’ils ont du pouvoir sur cette épidémie-là. »
D’où l’idée de lancer un nouveau défi de deux semaines à la population. « Le défi 28 jours, ça a été un gros succès, dit la Dre Marie-France Raynault. Si je regarde ce qui se passe en France, au Royaume-Uni ou dans plusieurs États américains, [le Québec] est beaucoup mieux. Collectivement, on a réussi à l’aplatir solidement, la courbe. On a arrêté la croissance exponentielle. »
Québec doit aussi trouver des moyens de mieux sensibiliser les jeunes à l’importance de respecter les mesures sanitaires, selon la Dre Mélissa Généreux, professeure au Département des sciences de la santé communautaire à l’Université de Sherbrooke. « Les efforts semblent plus demandants pour les jeunes que pour les personnes âgées », dit-elle.
La médecin s’appuie sur une étude qu’elle mène actuellement et dans laquelle les jeunes ont davantage rapporté avoir subi une perte financière liée à la pandémie. Chez les 18 à 24 ans, une personne sur trois dit vivre des symptômes anxieux ou dépressifs, selon cette même enquête.
La Dre Mélissa Généreux propose de sonder les jeunes sur leurs besoins actuels, par l’intermédiaire des universités et des cégeps, entre autres. « On pourrait leur demander “qu’est-ce qu’on peut faire de plus différemment ?” », dit-elle.