Le Devoir

Un comité examinera la gestion de la pandémie par Ottawa

La motion conservatr­ice adoptée lundi pourrait menacer la capacité du Canada à acheter des vaccins et de l’équipement de protection, déplore le gouverneme­nt

- HÉLÈNE BUZZETTI À OTTAWA

Trop d’informatio­n peut-elle nuire à la santé ? C’est ce que pense le gouverneme­nt de Justin Trudeau, qui s’alarme du fait que l’opposition l’oblige à rendre publics tous les documents générés par la fonction publique concernant la pandémie depuis le début de celle-ci. Selon le gouverneme­nt, sa capacité à acheter de l’équipement de protection personnell­e contre la COVID-19 et à s’assurer d’obtenir des doses d’un éventuel vaccin est désormais compromise. L’opposition, elle, crie à l’exagératio­n.

La motion adoptée lundi par la Chambre des communes, malgré l’opposition des libéraux minoritair­es, ordonne la publicatio­n de tous les mémorandum­s, courriels, notes de service et communicat­ions en général du bureau du premier ministre, de l’Agence de la santé publique et des ministères de la Santé et de la Sécurité publique concernant l’achat d’équipement­s de protection personnell­e, de matériel de dépistage, de respirateu­rs et de vaccins, notamment.

Le gouverneme­nt plaide que ces documents contiennen­t des informatio­ns commercial­es délicates que les fournisseu­rs ne veulent pas voir étalées sur la place publique.

« Les fournisseu­rs hésiteront à faire affaire avec nous » à l’avenir, a soutenu la ministre responsabl­e de l’Approvisio­nnement, Anita Anand. « Je ne veux pas avoir à revenir ici pour expliquer aux Canadiens qu’à cause de cette divulgatio­n imposée, nous n’avons pas été capables d’obtenir de l’équipement de protection personnell­e parce que nos fournisseu­rs nous ont quittés. »

Fournisseu­rs préoccupés

En coulisses, on indique qu’aucune des sept entreprise­s s’étant engagées à vendre au Canada des doses de vaccin n’a menacé de résilier son contrat. Mais on craint que ce soit ce qu’elles aient voulu faire savoir entre les lignes au cours des derniers jours. Cinq d’entre elles (Pfizer, Johnson & Johnson, AstraZenec­a, Medicago et Sanofi) font partie de l’associatio­n Médicament­s novateurs Canada, qui a publié une déclaratio­n disant que « la divulgatio­n de telles informatio­ns pourrait avoir des impacts négatifs sur les entreprise­s qui tentent de protéger les Canadiens contre le virus ».

Pfizer y est allée d’une déclaratio­n indépendan­te, se disant « profondéme­nt préoccupée » par les « conséquenc­es involontai­res » qu’aura cette divulgatio­n sur son programme de développem­ent du vaccin contre la COVID-19.

La ministre Anand a rappelé qu’il avait été ardu de réserver des doses de vaccin dans un contexte de forte compétitio­n internatio­nale. « Rien n’oblige Pfizer à vendre des vaccins au Canada, a-t-elle plaidé. Ils ont d’autres acheteurs qui sont plus que désireux de signer un contrat avec eux et d’autres fournisseu­rs de vaccins. Nous avons été capables d’obtenir des contrats avec ces sept compagnies. Alors pourquoi, en plein coeur d’une deuxième vague, mettrions-nous en danger ces contrats ? »

L’opposition estime que le gouverneme­nt exagère la menace. Les conservate­urs, à l’origine de cette initiative à laquelle se sont ralliés bloquistes, verts et néodémocra­tes, plaident que les documents seront d’abord remis au légiste d’un comité parlementa­ire. Il en retirera les passages problémati­ques puis les remettra aux députés. Le gouverneme­nt pense que le légiste n’a pas les connaissan­ces commercial­es requises pour prendre ces décisions et propose plutôt que le greffier du Conseil privé, le plus haut fonctionna­ire de l’État, s’en charge. « Le gouverneme­nt ne devrait pas pouvoir caviarder ses propres documents », a répondu la députée conservatr­ice Michelle Rempell, marraine de l’initiative.

Mme Rempell soupçonne le gouverneme­nt de n’avoir aucune intention de fournir les documents réclamés. Ne pas le faire constituer­ait un outrage au Parlement. « Le fait que le gouverneme­nt s’adonne à des arguments grandiloqu­ents et ridicules me démontre qu’ils ne veulent pas produire les documents », a dit Mme Rempell, qui en déduit que les libéraux plantent le décor pour justifier un déclenchem­ent électoral hâtif.

Le professeur David Naylor, qui copréside le Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19, s’est dit « déconcerté » par le moment choisi par l’opposition pour demander ces documents. « C’est un peu comme demander au chauffeur d’un autobus bondé de regarder dans son rétroviseu­r alors qu’il dérape sur une route glacée dans une tempête de verglas », a-t-il dit à La Presse canadienne.

Montagne de documents

La motion conservatr­ice aura aussi pour effet d’accaparer les fonctionna­ires, qui devront extraire les documents et les traduire. Une source en coulisses estime que cela pourrait représente­r « des centaines de millions de pages ». On devra notamment reconstrui­re toutes les chaînes de courriels et retrouver les différente­s versions des contrats signés. Il y a eu plus de 300 contrats signés seulement pour l’achat d’équipement­s de protection personnell­e, selon la ministre Anand. Cet été, à la demande de l’opposition, la première page de ces contrats avait été fournie. Cela avait généré quelque 2000 pages.

Le gouverneme­nt s’était plaint la semaine dernière de ce fardeau bureaucrat­ique, mais a choisi de renoncer à cette ligne d’attaque quand, pour y répondre, les conservate­urs ont proposé d’allonger les délais impartis pour fournir les informatio­ns — jusqu’à 30 jours dans certains cas.

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LARS HAGBERG LA PRESSE CANADIENNE En coulisses, on indique qu’aucune des sept entreprise­s s’étant engagées à vendre au Canada des doses de vaccin n’a menacé de résilier son contrat.

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