Le Devoir

Se serrer les coudes sans contact

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

Partout sur le globe où le rebond de la pandémie fait valser les courbes, les autorités brandissen­t un appât nommé Noël. Pour reconfiner l’Irlande six semaines complètes, le premier ministre Micheál Martin a présenté la perspectiv­e de célébratio­ns de Noël « correctes » pour convaincre les plus récalcitra­nts d’avaler une deuxième phase de cessation quasi complète des activités. Même chose en Espagne, où l’état d’urgence a été déclaré, et où un couvre-feu s’applique pour une durée probable de six mois.

Si le virus frappe de manière universell­e et uniforme, il en est tout autrement des stratégies adoptées par les pays pour y faire face. Sur un spectre très large de sévérité des mesures, les nations composent toutes avec un périlleux équilibre : une économie si mal en point que la moindre secousse mène à des faillites, un nombre d’hospitalis­ations à stabiliser au gré de la capacité des hôpitaux, et le maintien d’un équilibre mental chez des gens excédés de voir leur vie entre parenthèse­s.

En annonçant lundi soir que les mesures de restrictio­n en zone rouge s’étireraien­t sur quatre semaines d’efforts additionne­lles, le premier ministre François Legault a appuyé sur l’aspect « déchirant » de son appel. Entre deux maux, lequel choisir ? Maintenir encore longtemps cette cadence de 10 décès par jour, la moyenne des deux dernières semaines, ou rouvrir l’espace de vie sociale du Québec — salles de sport, théâtres, cinémas, restaurant­s — pour mettre un peu de lumière sur notre grande déprime collective ? Au coeur de ce dilemme se joue une clé essentiell­e : le sentiment d’adhésion de la population.

Bien que la recette miracle pour combattre la pandémie reste introuvabl­e, quelques ingrédient­s sont toujours indispensa­bles, et ce sont encore les mêmes : cohérence et transparen­ce. Quand François Legault évoque lui aussi son souhait de permettre « un temps des Fêtes en famille et avec des amis », parle-t-il d’un scénario réellement plausible ? Un Noël en famille avec tous les contacts que cela suppose, alors que l’on subit depuis quelques semaines les contrecoup­s d’un été passé de façon trop relâché ? Les Québécois à qui l’on demande de se serrer les coudes — sans contact ! — préférerai­ent peutêtre qu’on leur expose franchemen­t la faible probabilit­é d’une grosse tablée de Noël plutôt que se voir gonfler l’espoir de quatre semaines en quatre semaines.

Sur quoi basez-vous vos interdicti­ons et vos permission­s ? Voilà en somme la clarificat­ion que divers groupes réclament du gouverneme­nt, certains poussant la demande jusqu’à la menace. Comme les propriétai­res de salles de sport qui ont annoncé lundi leur intention de rouvrir cette semaine en dépit de l’interdicti­on — une aberration ! Quand des éléments manquent pour comprendre la cohérence des mesures, l’adhésion fond et se transforme en défiance. M. Legault a eu raison de prévenir que ces incartades allaient mener à des amendes et à un travail soutenu des policiers. Jusqu’à maintenant, la menace des contravent­ions n’a pas tellement été suivie par le geste.

Les données divulguées dans chaque bilan quotidien permettent maintenant de dire que le Québec a atteint un « plateau », avec entre 800 et 1000 nouveaux cas par jour. La bonne nouvelle ? Les hospitalis­ations, elles, ne galopent pas vers le haut ; les décès, si tragiques soient-ils, ne montent pas en flèche. Le système hospitalie­r, dans l’ensemble, est encore capable d’absorber cette vague contenue, hormis dans les régions où l’on subit les effets pénibles d’éclosions combinées à une pénurie de personnel. En entrevue dans une station de radio régionale la semaine dernière, M. Legault semblait évoquer comme palier de stabilité à atteindre l’écart magique de 500 à 800 nouveaux cas par jour, pour nous permettre de mieux souffler.

Aux élèves de 4e et 5e secondaire pour qui l’école « en présentiel » se fait un jour sur deux, on ajoute maintenant les jeunes de 3e secondaire. Cette mesure controvers­ée quant à ses effets concrets bénéfiques — et dont les effets néfastes sur la motivation semblent on ne peut plus évidents — n’a pourtant pas été jouée dans la plus grande transparen­ce. Comme le révélait en effet Radio-Canada à la mi-octobre, la formule d’un jour sur deux n’était pas privilégié­e par l’Institut national de santé publique du Québec, dont l’avis scientifiq­ue préconisai­t clairement l’alternance basée sur des moitiés de classe, l’objectif étant d’augmenter la distance entre les élèves à l’intérieur des classes, et pas seulement dans les zones communes. Cet avis n’a pas été diffusé.

Le politique a choisi de porter le message officiel pour rallier la population à ses directives. Plus que jamais en cette deuxième vague où tout s’essouffle, y compris l’énergie positive, il doit le faire en offrant aux citoyens un accès à l’entièreté de son tableau de bord.

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