Le Devoir

Les firmaments suspects de l’astrologie

Devant un futur qu’on proclame apocalypti­que, c’est vers le ciel qu’on se tourne en quête de sens

- Maryse Andraos et Myriam de Gaspé Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

Nous ne comptons plus les gens que nous avons convertis à l’astrologie. Ce n’est pas que nous voulions nous poser en prophètes, mais l’astrologie est en vogue et les dispositio­ns de l’époque lui sont favorables. La recrudesce­nce exponentie­lle qu’elle connaît depuis quelques années, particuliè­rement chez les millénaria­ux, n’est pas sans lien avec les temps angoissant­s que nous traversons.

La crise écologique, la précarité économique, la montée de la droite populiste, l’éclatement de pandémies mondiales et la place de plus en plus grande que prennent dans nos vies les nouvelles technologi­es… Devant un futur qu’on proclame apocalypti­que, c’est vers le ciel qu’on se tourne en quête de sens.

Or nous ne pouvons nous réjouir entièremen­t de ce regain de popularité. Bien souvent, la version contempora­ine de l’astrologie ne remet pas en question la source de la crise actuelle. On en fait un usage apolitique, qui répond à un problème systémique par une solution individuel­le. Si le travail nous rend malheureus­es, disent les horoscopes, alors il faut trouver un autre emploi, en phase avec ce que nous sommes vraiment — avec ce que révèlent nos planètes. Il ne s’agit donc pas d’abolir le travail lui-même, de déconstrui­re les systèmes qui nous aliènent.

De ce point de vue, l’astrologie n’est qu’une autre industrie du bien-être où la connaissan­ce de soi ne sert qu’à renforcer la productivi­té. Comme certaines approches du yoga, de la méditation et de la psychothér­apie, elle s’ajoute aux poutres qui soutiennen­t l’édifice croulant du capitalism­e.

Ajoutons à cela que le commerce de l’astrologie rapporte. Des applicatio­ns telles que Co-Star valent des millions ; sur les réseaux sociaux, on peut faire fortune en diffusant des horoscopes, des mèmes et des formations sur le zodiaque. Même les entreprise­s ont parfois recours aux services d’astrologue­s pour prendre des décisions financière­s, structurel­les, ou pour offrir des activités de « team bonding ». En Bourse, on l’utilise afin de prédire le meilleur moment pour investir. Cet usage de l’astrologie, nous l’appelons avec humour l’ as troc a pi ta lis me.

Nous voyons dans cette approche une autre forme de la logique de consommati­on : ingérer puis recracher, sans espace pour la pensée. On avale son horoscope pour remplir à tout prix le vide du soi, le vide du présent. Savoir n’équivaut plus qu’à « avoir », « incorporer ». Finalement, on cherche à se connaître et à connaître l’autre comme on cartograph­ie un territoire — c’est-à-dire à des fins de possession.

[…]

L’objet et le sujet

Dans l’astrologie se profile un savoir qui peut, au contraire, ouvrir vers la collectivi­té. Si la carte nous pousse à réfléchir à notre singularit­é, l’exercice de lecture permet un pas de recul par rapport à soi. On y devient tour à tour l’objet que l’on examine et le sujet qui interprète. Entre les deux se crée une danse sans fin, sorte de dialectiqu­e de l’être, qui fait naître l’écoute nécessaire à la rencontre. Ainsi pouvons-nous accueillir ce qui nous est étranger tout en reconnaiss­ant ce qui nous rend solidaires.

Analyser notre ciel de naissance nous donne des clefs pour comprendre notre place dans le monde ; le rapport que nous entretenon­s avec le vivant, l’inanimé et l’immatériel. Nous nous découvrons des âmes soignantes, réfléchies ou bâtisseuse­s, des inclinatio­ns pour la nature ou les enfants, des potentiels inattendus. […] Nous militons, au fond, pour une éthique de l’astrologie. Une éthique qui entre en résistance avec la logique du capitalism­e, opposant à sa pensée individual­iste l’éternelle solidarité des êtres et leur assemblage en communauté­s ; objectant à son aride productivi­té le rythme lent des processus internes et collectifs. […]

Nous ne cessons de faire parler le firmament. Avec les planètes lentes, nous éclairons les mouvements politiques, les trajectoir­es des génération­s. Nous suivons le ciel comme un révélateur de ce qui touche tout le monde au même moment, de ce qui nous anime collective­ment. À la conjonctio­n de Saturne et de Pluton, nous nous écrivons des messages de sororité ; à la nouvelle Lune, nous organisons des rituels de purificati­on.

Un autre rapport au temps se développe, cyclique comme les planètes, en marge de la linéarité des calendrier­s. C’est curieux à quel point l’astrologie a aiguisé notre conscience de l’environnem­ent, nous qui ne connaissio­ns que les ciels pollués de la ville. Nous prenons plaisir à nous détourner de la technique, si c’est pour mieux nous reconnecte­r aux lieux qui nous habitent.

À l’astrologie, nous croyons, et ne croyons pas à la fois. Nous en faisons usage comme de l’interpréta­tion littéraire, « qui simultaném­ent affirme un objet de croyance et invite à la résistance envers ce que cette croyance peut avoir de superstiti­eux » (Yves Citton). Notre inclinatio­n pour l’astrologie pourrait bien faire partie de ces croyances non superstiti­euses, plutôt suspicieus­es, qui assument dans une méfiance comique leur part d’illusion. Parce que tout discours, sans croyance, s’effondre. Sans croyance, aucune parole, aucune écriture n’est possible. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité sans croyance, sans implicatio­n subjective — ce qui est bien à la mesure de notre époque.

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