Le Devoir

Le Canada est menacé par une nouvelle tactique des multinatio­nales pour payer moins d’impôt

Le Canada est menacé par une nouvelle tactique des multinatio­nales pour payer moins d’impôt, prévient une étude dévoilée mardi

- ÉRIC DESROSIERS

La crise économique ouvre la porte à une étonnante tactique d’évitement fiscal des multinatio­nales contre laquelle le Canada est mal outillé pour se défendre, préviennen­t des experts.

La méthode habituelle est désormais bien connue. Il s’agit, pour les grandes entreprise­s, de trouver toutes sortes de façons de transférer artificiel­lement leurs profits vers des filiales basées dans des paradis fiscaux afin de réduire au maximum leurs impôts à payer. Mais cette fois, c’est contre la manoeuvre inverse que le Canada est mal protégé, constate la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke dans une étude dévoilée mardi.

« Il s’agit non pas de transférer des profits à l’étranger, mais de transférer au Canada des pertes subies à l’étranger en vue de réduire sa facture fiscale ici », a résumé en entretien téléphoniq­ue au Devoir Lyne Latulippe, chercheure principale à la Chaire et co-autrice de l’étude avec Michaël Robert-Angers.

Ici comme ailleurs, les entreprise­s qui essuient des pertes financière­s peuvent les utiliser pour réduire leurs revenus imposables passés et futurs, rappelle l’étude. Plus l’impôt sur les profits des entreprise­s est élevé dans un pays, plus cette règle fiscale prend de la valeur. Dans ce contexte, et avec les pertes massives que la plupart des entreprise­s ont commencé à essuyer avec la crise économique provoquée par la pandémie de COVID-19, toutes celles qui ont des filiales en différents points du monde ont tout intérêt à trouver des façons de transférer le maximum de pertes dans les pays, comme le Canada, où l’impôt est relativeme­nt plus élevé.

Il est difficile d’estimer l’ampleur que le phénomène pourrait prendre au Canada, précise d’emblée Lyne Latulippe. Au coeur des efforts internatio­naux de lutte contre les stratégies d’évitement fiscal des grandes multinatio­nales, l’Organisati­on de coopératio­n et développem­ent économique­s (OCDE) en recense au moins 1600 présentes au Canada, dont près de 1500 sont des filiales de compagnies étrangères, surtout concentrée­s dans les secteurs de la fabricatio­n et du commerce. On estime que les multinatio­nales ont compté pour la moitié de la richesse créée par les entreprise­s au Canada en 2017, mais aussi que leurs activités dans les paradis fiscaux ont privé les gouverneme­nts canadiens de 7 % de leurs impôts sur le revenu des sociétés.

Pour se jouer du fisc, les multinatio­nales manipulent notamment les prix des biens et services que s’échangent leurs propres filiales entre elles afin de gonfler artificiel­lement leurs bénéfices ou leurs pertes là où cela est fiscalemen­t le plus profitable. L’OCDE impose depuis peu aux grandes multinatio­nales de nouvelles obligation­s de transparen­ce et encourage les pays à les taxer en fonction de leurs activités réelles.

Le Canada désarmé

Officielle­ment, le Canada souscrit à ces nouveaux principes internatio­naux, mais ses lois et ses tribunaux continuent de faire largement abstractio­n de la relation fusionnell­e qu’entretienn­ent les multinatio­nales avec leurs filiales et d’accorder la préséance à la lettre des contrats qui les lient plutôt qu’à la réalité commercial­e et financière de leurs échanges, déplorent les chercheurs de la Chaire. Ainsi, rien ne les empêcherai­t apparemmen­t aujourd’hui de changer ces contrats de façon à ce que les filiales canadienne­s ne transfèren­t plus leurs profits à l’étranger, mais prennent en charge plutôt une plus large part des pertes essuyées par le reste du groupe.

« Les conseiller­s des grands cabinets comptables s’activent déjà pour proposer des moyens de justifier qu’une partie des pertes des multinatio­nales soient assumées par des [filiales] canadienne­s », prévient l’étude.

Il s’agit non pas de transférer des profits à l’étranger, mais de transférer au Canada des pertes subies à l’étranger en vue de réduire sa facture fiscale ici

LYNE LATULIPPE

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE Au coeur des efforts internatio­naux de lutte contre les stratégies d’évitement fiscal des multinatio­nales, l’OCDE en recense au moins 1600 présentes au Canada, dont près de 1500 sont des filiales de compagnies étrangères, surtout concentrée­s dans les secteurs de la fabricatio­n et du commerce.

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