Le Devoir

« Urgence » d’agir

-

racistes de membres du personnel médical — celui-ci dit vouloir attendre de lire les conclusion­s du rapport de l’enquête publique du coroner. « Il y a une prescripti­on de trois ans pour déposer une poursuite », rappelle-t-il.

Depuis le drame qui a mis en lumière le racisme et la discrimina­tion dont sont victimes les Autochtone­s dans le réseau de la santé, le CISSS de Lanaudière — qui chapeaute l’hôpital de Joliette — n’a eu presqu’aucun contact avec le conseil de bande de Manawan, d’où était originaire Joyce Echaquan, et le Centre d’amitié autochtone de Lanaudière.

Paul-Émile Ottawa, chef du Conseil des Attikameks de Manawan, dit avoir rompu toute communicat­ion avec le CISSS après avoir eu une brève conversati­on avec le p.-d.g. du CISSS, Daniel Castonguay, dans les jours ayant suivi le drame. « Le conseil considère que le p.-d.g. n’est plus un interlocut­eur valable, car il a failli dans ses obligation­s en ne donnant pas suite au rapport de la commission Viens [qui aborde directemen­t les questions de discrimina­tion à l’hôpital de Joliette] », fait-il valoir. Le chef dit d’ailleurs avoir envoyé une lettre mardi au ministre de la Santé, Christian Dubé, réclamant le départ de Daniel Castonguay.

Je ne me sens pas écoutée. […] Je n’ai pas de canaux clairs de communicat­ion avec le CISSS. C’est eux qui devraient venir vers nous en ce moment. JENNIFER BRAZEAU »

Depuis le décès de Joyce Echaquan, Jennifer Brazeau, directrice du Centre d’amitié autochtone de Lanaudière (CAAL), sis à Joliette, déplore également le fait de ne pas avoir eu de liens avec le CISSS de Lanaudière. « Depuis son décès, le CISSS ne m’a pas contactée. […] On est le seul fournisseu­r de services pour les Autochtone­s dans Lanaudière ; donc, ça ferait du sens qu’on ait un partenaria­t assez étroit entre nos organisati­ons », souffle-t-elle.

Une clinique sans équipement

Mardi après-midi, une clinique de proximité installée directemen­t dans le CAAL a ouvert ses portes. Un projet visant à offrir des soins de santé culturelle­ment sécuritair­es aux Attikameks, mais qui n’a pu bénéficier d’un soutien optimal de la part du CISSS, déplore Jennifer Brazeau.

La clinique a commencé à recevoir des patients, mais celle-ci ne détient aucun équipement. « On s’est acheté nous-mêmes une table de massage à la place de la table d’examen qu’on a demandée au CISSS », se désole-t-elle. La table d’examen n’est jamais arrivée, tout comme l’infirmière que le CAAL souhaitait avoir sur place deux jours par semaine pour offrir des soins à la communauté.

Seul un médecin sera dépêché sur les lieux. Jennifer Brazeau avait demandé qu’il soit présent à la clinique une journée par semaine. C’est finalement deux après-midi par mois que le docteur Samuel Boudreault se déplacera dans les locaux du CAAL, apportant avec lui sa trousse.

« Si ce n’était pas du bon partenaria­t qu’on a avec le Groupe de médecine de famille universita­ire du nord de Lanaudière [auquel est rattaché le médecin] et du docteur Boudreault, on n’aurait pas de clinique. »

Il y avait pourtant « urgence » d’agir. Un mot que Jennifer Brazeau avait prononcé avant même la publicatio­n de la vidéo de Joyce Echaquan qui a ouvert les yeux du Québec. « Les Attikameks se sentaient déjà jugés, discriminé­s dans le réseau. » Le projet de clinique de proximité du CAAL était ainsi sur la table avant l’événement tragique.

Pour obtenir un rendez-vous avec le CISSS, le CAAL dit avoir dû frapper à la porte pendant des mois avant d’obtenir en juin une rencontre avec le p.-d.g. adjoint. Selon Mme Brazeau, celui-ci s’était engagé verbalemen­t à fournir des ressources pour la clinique. Mais depuis, aucun suivi n’a été effectué.

Selon la directrice du CAAL, ce qui manque cruellemen­t, c’est une volonté d’établir une relation d’égal à égal. « Je ne me sens pas écoutée. […] Je n’ai pas de canaux clairs de communicat­ion avec le CISSS. C’est eux qui devraient venir vers nous en ce moment. C’est pas à moi de leur courir après. C’est leur job de rebâtir le sentiment de confiance envers leur institutio­n. »

Des cliniques de proximité existent dans d’autres Centres d’amitié autochtone­s de la province, à Val-d’Or et à La Tuque. Selon Mme Brazeau, des ressources y sont fournies par les CISSS. « Si on veut réellement améliorer les conditions de vie et les conditions de santé des membres de la communauté, il faut qu’on ait des ressources pour le faire, sinon on est toujours en train de gérer des crises. »

Le p.-d.g. du CISSS de Lanaudière, Daniel Castonguay, a refusé mardi notre demande d’entrevue. Le CISSS n’a pas non plus répondu à nos questions portant sur la clinique du CAAL. Dans une réponse écrite envoyée au Devoir, le CISSS dit avoir mené plusieurs actions depuis le décès de Joyce Echaquan. Une « conférence de sensibilis­ation sur les réalités autochtone­s » a notamment été offerte les 15 et 16 octobre aux membres du personnel, de même qu’au comité de direction.

« La Direction des ressources humaines du CISSS est également [en train d’]établir, avec l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamin­gue, les modalités pour l’offre d’une formation obligatoir­e à l’ensemble du personnel et des médecins du CISSS. » Une formation qui devrait être prête pour la fin du mois de novembre.

Enquêtes

L’enquête interne, qui a déjà mené au renvoi d’une infirmière et d’une préposée aux bénéficiai­res, est sur le point d’être terminée, souligne le CISSS. Parallèlem­ent, une enquête clinique sur les circonstan­ces entourant le décès de Joyce Echaquan est aussi en cours.

Le CISSS n’a pas non plus répondu à notre question visant à savoir si d’autres employés, mis à part les deux membres du personnel renvoyé, étaient présents lors du drame.

Du côté de l’Ordre des infirmière­s et des infirmiers du Québec, l’enquête suit également son cours. « Le permis [de l’infirmière renvoyée] n’est pas suspendu ni révoqué pour le moment. […] Il faut que la direction du Bureau du syndic recueille les éléments de preuve avant de déposer une plainte et de porter des accusation­s contre un membre devant le conseil de discipline, s’il y a lieu. »

Newspapers in French

Newspapers from Canada