Le Devoir

Le pastiche d’un manoir au coeur d’un projet de plus de 40 millions

En piteux état, le bâtiment original situé sur un domaine seigneuria­l devrait être démoli, puis reconstrui­t avec un extérieur « similaire », selon la Ville

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

La Ville de Mascouche entend réaliser, à partir d’un domaine seigneuria­l du XVIIe siècle, un vaste ensemble récréotour­istique moderne axé sur le loisir et le spectacle. En son centre trônera un pastiche de la demeure des anciens seigneurs de l’endroit, un bâtiment de pierres de 1795 avec ses lucarnes. Bien que l’original existe toujours, la Ville entend le démolir.

« Mais il va être reconstrui­t », s’empresse d’affirmer la porte-parole de la Ville de Mascouche. La Ville précise néanmoins que ce ne sera « pas nécessaire­ment une copie conforme ».

Le maire et ancien député du Parti québécois Guillaume Tremblay précise que le bâtiment original, avec ses cloisons intérieure­s, ne rendrait pas possible son utilisatio­n comme une salle de spectacle, de diffusion et de restaurati­on, tel qu’on en souhaite une pour ce projet. « L’extérieur va être similaire », dit-il. Mais la vieille demeure du seigneur n’est pas à même de constituer un lieu de diffusion, un bistro, une aire de restaurati­on, une aire d’exposition, une terrasse extérieure et une agora permettant d’accueillir de grands événements comme le souhaite la Ville.

Le projet dans sa totalité est évalué à 49 millions. La Ville de Mascouche s’engage à y investir 20 millions.

« Pas un baccalauré­at »

Des ingénieurs indépendan­ts considèren­t-ils que la vieille demeure pourrait être sauvée ? Selon le maire, « ça ne prend pas un baccalauré­at pour comprendre que ce bâtiment-là » ne tient pas, tout en rappelant que son prédécesse­ur voulait, lui, faire du développem­ent immobilier sur ces terrains. « Pour le manoir, on est en pourparler­s avec le ministère de la Culture. À savoir est-ce qu’on garde un mur, on garde-tu quelques briques »?

Lors d’une visite à Mascouche, le 11 août dernier, le premier ministre François Legault, après avoir été mis au fait du projet, indiquait à son auditoire que « c’est un beau projet, culturel ». Au micro, il ajoutait vouloir s’assurer, avec la ministre Nathalie Roy, « qu’il chemine le plus rapidement possible ».

Au ministère de la Culture et des communicat­ions toutefois, on indiquait mardi au Devoir que « rien n’a été confirmé » avec Mascouche, tout en précisant qu’il n’y a pas eu d’accord ni de lettre d’intention à ce jour à ce propos.

Un ensemble protégé ?

Le site comporte trois bâtiments historique­s principaux : le manoir, la maison du meunier et un moulin. L’ensemble est d’ailleurs cité officielle­ment, en vertu de la loi, pour son caractère patrimonia­l.

De 1647 à 1765, cet emplacemen­t constituai­t une partie du domaine des riches seigneurs de Repentigny et de La Chesnaye. Un moulin à farine, des dépendance­s et une demeure seigneuria­le y seront érigés. L’ensemble a suivi plusieurs modificati­ons au fil du temps.

Le domaine perd son statut de seigneurie au XIXe siècle, après une vente aux enchères. Les nouveaux propriétai­res, des exploitant­s coloniaux, en feront le coeur d’une entreprise agricole où l’on trouve aussi une scierie alimentée par les eaux de la rivière.

Pour le maire Tremblay, il ne fait pas de doute que « c’est le dernier hiver qu’on peut se permettre de passer » avec de tels bâtiments. Il dit attendre, avec grande impatience, un chèque de Québec et d’Ottawa pour lancer les appels d’offres et engager le chantier de constructi­on qui devrait durer au moins deux ans.

Selon le site du ministère de la Culture et des Communicat­ions, ce manoir seigneuria­l doit, en vertu de la loi, au moins conserver son toit à deux versants, ses lucarnes à pignons, ses cheminées doubles, des murs en pierre et mortier ainsi que sa balustrade en fer forgé. Mais comment concilier une démolition avec de telles indication­s de préservati­on ?

Pour Mascouche, les subvention­s de l’État pourraient financer la démolition du manoir, indique la porte-parole de la cité. « On sait que dans l’état où il est, on va devoir le détruire, on va devoir le démolir. Ce pour quoi on fait des demandes de subvention : parce que la démolition va peut-être pouvoir s’inscrire directemen­t dans les subvention­s qu’on est à même de recevoir pour ce dossier-là »

Central Park

Ce projet de développem­ent, le maire le compare volontiers à rien de moins que le Central Park de New York. À terme, indiquent ses documents de promotion, l’union des différents éléments autour de l’ancienne forêt seigneuria­le créerait « un immense espace récréatif vert en milieu urbain : une étendue de plus de 372 hectares, plus vaste encore que le Central Park de New York (334 hectares) ».

De 1967 à 2000, ce vaste ensemble, situé en bordure d’une chute d’eau, était occupé par une école secondaire qui intégrait dans sa supervisio­n les bâtiments historique­s à l’allure bien différente des établissem­ents scolaires strictemen­t fonctionne­ls issus de la Révolution tranquille.

Les policiers de la Sûreté du Québec eurent, par la suite, leurs bureaux en ces lieux. Il fut aussi question qu’une université y installe un pavillon en milieu champêtre pour conduire des activités de recherche. Tout ce temps, les bâtiments anciens se trouvaient « bien entretenus » et en bon état, affirme le maire. Puis, en 2009, l’ensemble historique est passé entre les mains d’une société d’investisse­ment montréalai­se. En 2014, on a démoli des annexes. Une décennie plus tard, le lieu se trouve dans un piteux état. On y a aussi déploré au moins deux incendies. La Ville de Mascouche s’est portée acquéreuse du site en janvier 2015.

On sait que dans l’état où [le manoir] est, on va devoir le détruire, on va devoir le démolir

UNE PORTE-PAROLE DE LA VILLE DE MASCOUCHE

 ?? VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR ?? Le site comporte trois bâtiments historique­s principaux : le manoir (derrière les gravats, sur cette photo), la maison du meunier et un moulin. Le lieu est aujourd’hui dans un état délabré. Au moins deux incendies s’y sont aussi déclarés.
VALÉRIAN MAZATAUD LE DEVOIR Le site comporte trois bâtiments historique­s principaux : le manoir (derrière les gravats, sur cette photo), la maison du meunier et un moulin. Le lieu est aujourd’hui dans un état délabré. Au moins deux incendies s’y sont aussi déclarés.

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