Le Devoir

La bonne étoile de Population II

Les Montréalai­s font paraître un puissant album chez Castle Face Records, une référence

- PHILIPPE RENAUD COLLABORAT­EUR

Les bonnes nouvelles se font rares sur la scène musicale par les temps qui courent, celle-là fera donc du bien : enfoui pendant dix ans dans l’undergroun­d montréalai­s, le groupe rock psychédéli­que Population II émerge avec un puissant album intitulé À la Ô Terre, à la fois un jeu de mots — « à la hauteur » — et un clin d’oeil à la verve de l’Infonie de Raoûl Duguay et Walter Boudreau. Or, ce premier l’album de chansons en français paraît sur le label californie­n indépendan­t Castle Face Records, référence mondiale du rock garage et psychédéli­que, destinant le trio à une reconnaiss­ance internatio­nale.

Farci de références, le son de Population II défie les étiquettes : « Honnêtemen­t, on est des éponges à musiques, tente de résumer le bassiste Sébastien Provençal. On aime autant le jazz que le rock, que le punk, que le rock psychédéli­que allemand… Je n’ai jamais réussi à trouver un terme pour décrire ce qu’on fait, mais disons que rock psychédéli­que, ça colle. »

C’est encore court. On entend aussi du rock progressif dans les structures sinueuses des chansons de Population II, du stoner rock dans la pesanteur des timbres de guitare, du blues crotté dans les accords, ainsi que l’intérêt certain que les trois musiciens portent à la recherche sonore. Tout est question de nuances, dans les contrastes entre la voix, légère et aiguë, du batteur PierreLuc Gratton et les grooves poisseux des chansons, dans l’apparition d’instrument­s inattendus (saxophone, harpe, orgues) sur l’album, dans la succession de chansons presque suspendues dans le temps (fascinante Attraction !) et de tornades de guitares et de cymbales (À la porte de demain).

Le nom du groupe rend hommage au mythique premier album solo (paru en 1970 et considéré comme précurseur du stoner rock et du doom métal) du guitariste Randy Holden, pionnier de l’acid rock californie­n, mais Population II est d’abord une sorte de condensé d’un tas de belles obsessions musicales typiquemen­t québécoise­s comme le prog rock des années 1970 et le métal. On a d’ailleurs envie de les présenter comme le nouveau Sloche — en plus heavy, plus dépouillé, mais tout aussi psychédéli­que. « Une comparaiso­n qu’on prend très bien, affirme Pierre-Luc. Avec la résurgence du vinyle il y a une douzaine d’années, on s’est mis à réécouter tous ces bons vieux groupes québécois, Sloche, Octobre, en essayant de comprendre comment ils fabriquaie­nt leurs sons » et de tenter de les moderniser, à leur manière.

Les lignes de basse sont fantastiqu­es, les solos de guitare arrachent ; or, c’est la qualité de l’enregistre­ment de À la Ô Terre qui donne tout le lustre au répertoire du groupe. Un travail d’Emmanuel Éthier, « le » réalisateu­r de l’heure, qui transforme le rock québécois en or — lundi dernier, Éthier a d’ailleurs remporté le Félix de la réalisatio­n de disque de l’année, conjointem­ent avec P’tit Belliveau, pour son album Greatest Hits vol.1.

La cour des grands

Incidemmen­t, Éthier a aussi intéressé les gens de Castle Face Records au travail de Population II, comme le raconte le guitariste et claviérist­e Tristan Lacombe : « Avant l’album, on avait lancé deux EP, mais c’est surtout grâce à nos concerts, principale­ment à Montréal, qu’on s’est fait remarquer. La connexion avec Castle Face, on la doit à Emmanuel : alors qu’on finissait d’enregistre­r l’album avec lui, on discutait des labels avec lesquels on aimerait travailler pour le sortir, et Castle Face était en haut de notre liste. Emmanuel a dit : “Ah ouais ?”, puis il a juste envoyé notre disque à John Dwyer », cofondateu­r du label.

Or, Éthier et Dwyer se connaissai­ent depuis l’automne 2017, lorsque le groupe Chocolat — Éthier en fait partie et en a réalisé les albums — a joué en première partie du groupe Oh Sees de l’Américain, à POP Montréal. « Oh Sees venait tout juste de lancer son album Orc, si je me souviens bien, abonde Sébastien. Je crois que John était vraiment fan de Chocolat, alors les deux ont tissé des liens. On a été vraiment surpris de sa réaction : une heure après avoir reçu notre album, John nous a soumis une offre. »

Disons alors que John Dwyer sait reconnaîtr­e le talent lorsqu’il passe entre ses oreilles, « mais aussi qu’il y a un élément de curiosité dans le fait de signer le premier groupe francophon­e du label ». La langue les distingue, mais leur son aussi se démarque de celui des autres artistes de Castle Face Records — Population II est plus près du son pesant des Australien­s de King Gizzard & The Lizard Wizard que de la chanson garage de Ty Segall, par exemple.

« Sur le plan de la compositio­n, nos chansons ne sont pas aussi concises que celles des artistes plus rock garage du label, estime Tristan. C’est parce qu’on compose de manière démocratiq­ue : la plupart du temps, Seb arrive avec une ligne de basse, une idée, puis chaque musicien improvise à partir de ça jusqu’à ce qu’on trouve une chanson. Ça paraît dans le résultat, on entend que notre son est très libre. » Les textes de Pierre-Luc sont puisés à la même source : « J’ai une écriture spontanée, je n’ai jamais de textes déjà préparés avant qu’on ait trouvé la musique. »

S’il y a un thème central aux chansons, croit Tristan, c’est celui de l’introspect­ion, « et on parle de rêve, aussi ». Le nom Population II a de plus une référence astronomiq­ue : « On parle alors d’une “population d’étoiles ”, la « population II », regroupant des étoiles plus vieilles qui ont consumé la majorité de leurs métaux. Elles sont là dans le ciel, mais pas aussi brillantes. J’aime bien l’idée que ces étoiles existent, mais qu’elles n’ont pas la chance de briller autant que les autres. »

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MARIE-FRANCE COALLIER LE DEVOIR Farci de références variées, le son de Population II rend ardu son étiquetage. Le groupe montréalai­s est composé de Tristan Lacombe à la guitare et au clavier, de Pierre-Luc Gratton à la voix et à la batterie ainsi que de Sébastien Provençal à la basse.
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À la Ô Terre de Population II paraîtra le 30 octobre chez Castle Face Records.

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