Le Devoir

Trump veut éviter le naufrage d’une vague bleue

- FABIEN DEGLISE À PHOENIX

Anti. Pro. Au coin des rues Western et Litchfield, à Goodyear dans la banlieue de Phoenix, les insultes traversaie­nt la route, au moment où l’avion de Donald Trump s’apprêtait à atterrir un peu plus loin sur le tarmac de l’aéroport régional de la ville.

« Rentrez chez vous ». « Sales racistes ». « Communiste­s ». « Vous déshonorez notre pays ».

Michelle de Marco, elle, ne criait pas, laissant sa pancarte parler pour elle. On pouvait y lire : « Je peux chier un meilleur président ». L’Arizona peut aussi être une terre de poésie.

« Donald Trump est une honte, a-telle dit. Ses partisans sont nombreux aujourd’hui et plusieurs affichent leur couleur pour des groupes racistes et suprémacis­tes blancs. C’est profondéme­nt dégradant pour les États-Unis. »

Le président américain est arrivé plusieurs bonnes minutes plus tard, promettant dès sa sortie d’Air Force One que l’Arizona allait encore une fois voter pour lui. « Vous avez le dernier mot le 3 novembre », a-t-il déclaré. « C’est à vous. Ceci est votre pays. Et vous devez sauvegarde­r et assurer sa belle destinée… Qu’avez-vous à perdre ? Votez pour Trump. »

Enroulée dans les couleurs de son candidat, le drapeau américain en main, le sourire aux lèvres, Michelle King avait prévenu, à la porte du rassemblem­ent, que « nous allons assister à une vague rouge en Arizona ».

Vague rouge ? Pas si sûr dans cet État, républicai­n depuis 1952, avec un bref interlude démocrate dans les années de Bill Clinton, où le président fait face désormais à un électorat en mutation qui pourrait bien, la semaine prochaine, lui coûter la Maison-Blanche.

« Que l’Arizona devienne bleu ? Ce n’est pas seulement une prédiction, c’est une certitude, assure Kiarash Zarezadeh, 40 ans, spécialist­e en marketing numérique, rencontré près d’un bureau de vote par anticipati­on à Phoenix lundi matin. Je vis ici depuis 1992 et j’ai vu le paysage politique

L’État républicai­n pourrait créer la surprise en votant pour Joe Biden la semaine prochaine

changer. Beaucoup de gens sont venus de l’extérieur s’installer ici et amènent avec eux des idées plus progressis­tes, plus libérales, qui se font désormais entendre lors des élections. »

En 2016, Donald Trump a remporté les 11 grands électeurs de l’Arizona avec un suffrage de 48 %, soit le plus bas obtenu par un républicai­n, depuis la défaite de Bob Dole en 1996.

Et la tendance à la baisse pourrait bien se maintenir, dans cet État qui connaît une croissance rapide de sa population, comme en témoignent les nombreux chantiers de constructi­on de logements marquant profondéme­nt le visage de la capitale arizonienn­e.

Depuis 2012, 900 000 nouveaux électeurs se sont ajoutés à la liste électorale. Des retraités ayant quitté le Midwest américain pour le climat plus convivial de cette région désertique, des vétérans, mais également un grand nombre de jeunes venus travailler dans les entreprise­s de nouvelles technologi­es qui ont élu domicile au bord de l’Arizona 101 Loop, la voie rapide qui ceinture la zone urbaine de Phoenix.

À la porte du rassemblem­ent politique de Trump, mercredi, un jeune homme pestait. « Les nouveaux Arizoniens qui viennent de Californie sont tous des libéraux », a dit Clark, entouré de ses amis euphorisés par l’arrivée du président. Il n’a pas donné son nom de famille. Mais il a répondu en français. « Ils veulent rendre l’Arizona meilleur, mais ils quittent leur état où leurs politiques sont en train de tout ruiner. »

Tension et frustratio­ns

La région de Phoenix est devenue cette année, contre toute attente, un nouveau champ de bataille, avec ses électeurs qui représente­nt plus de la moitié de ceux de l’État et qui pourraient à eux seuls faire basculer l’Arizona dans une autre ère politique. Hasard des calendrier­s, Kamala Harris était de passage dans la ville, mercredi après-midi, en même temps que Trump, pour y tenir des rencontres en personne avec des groupes communauta­ires, très actifs sur le terrain.

« Les seniors ne sont pas aussi certains de voter pour les républicai­ns cette année, en raison de leurs politiques en matière de soins de santé et de la gestion problémati­que par la Maison-Blanche de la pandémie de COVID-19, dit Richard Witmer, spécialist­e des comporteme­nts électoraux qui enseigne à la Creighton University, à Omaha, au Nebraska. Ajoutez à cela les changement­s démographi­ques dans les banlieues de Phoenix, mais également de Tucson, le vote des Latino-Américains, qui modifient la donne politique » et le compte n’est plus forcément bon pour le parti au pouvoir.

Les électeurs démocrates sont désormais en majorité dans les banlieues de Glendale et de Tempe. Les démocrates ont également pris le contrôle de Phoenix l’an dernier, avec l’élection de la mairesse Kate Gallego, 39 ans, tout en s’assurant d’une majorité au conseil municipal. Lors des élections de mi-mandat en 2018, l’Arizona a également envoyé une démocrate au Sénat américain, Krysten Sinema. Ce n’était pas arrivé depuis Denis DeConcini en 1977. Et l’astronaute Mark Kelly, qui brigue le siège de la républicai­ne Martha McSally, pourrait bien venir rejoindre la démocrate le 3 novembre prochain à Washington.

« Les quatre dernières années ont mis beaucoup de gens en colère contre Donald Trump ici », assure Brian Hughes, artiste ferronnier devant sa maison de Prescott, au nord de Phoenix. Il a affiché son appui pour Biden sur son terrain. Son voisin a répliqué quelques jours plus tard en sortant ses pancartes pour Donald Trump. « Il n’a pas sa place où il est. C’est une anomalie. C’est un fanfaron. Regardez où il nous a mis à cause de la pandémie, en prétendant qu’il savait mieux que les experts. Dans un an, j’espère qu’il va être en prison. »

Défensif dans un État rouge

Pour le moment, le principal intéressé se voit encore à Washington et multiplie les rassemblem­ents politiques afin de conserver les clefs de la Maison. Il était à Bullhead City, région rurale de l’Arizona, à la frontière avec le Nevada, en début d’après-midi mercredi. Son fils, Eric Trump, est venu faire campagne pour lui à Tempe, au sud de Phoenix lundi soir, cherchant ainsi à assurer des appuis dans une région qui risque de lui échapper.

« Biden semble avoir bien renforcé ses appuis dans les noyaux urbains de l’Arizona et commence aussi à conquérir les zones suburbaine­s, ce qui devrait l’aider à remporter l’État, dit Andrew Reeves, professeur de science politique à l’Université Washington de Saint Louis, Missouri. Pour Donald Trump, c’est dans les zones périphériq­ues qu’il est le plus susceptibl­e d’aller chercher son vote. »

C’est là que Lance Dempsy, un Marine à la retraite, avait installé dimanche son stand pour vendre des drapeaux à la gloire de son président, à New River, sans masque et serrant les mains de ses quelques visiteurs. « La semaine dernière, il y a eu un cortège de voitures de 5 kilomètres de long pour appuyer sa candidatur­e, dit-il. Il va remporter les élections et il va remporter l’Arizona ».

Mardi, un sondage OH Predictive Insights (OHPI) accordait une mince avance dans les intentions de vote, de trois points, à Joe Biden sur Donald Trump en Arizona. Mais un appui de 60 % chez les Latino-Américains qui représente­nt un tiers de la population, et un quart des électeurs, 58 % dans le comté de Pima qui englobe la région urbaine de Tucson et 57 % chez l’électorat féminin, passableme­nt heurté par la gestion catastroph­ique de la pandémie aux États-Unis.

Mais Lance Dempsy ne s’en formalise pas. « Les sondages donnaient Hillary Clinton gagnante aussi en 2016. »

Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalism­e internatio­nal Transat-Le Devoir.

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