Le Devoir

Être légume et s’en porter mieux, la chronique de Josée Blanchette

Le défi de novembre

- JOSÉE BLANCHETTE cherejoblo@ledevoir.com Instagram : josee.blanchette

En mémoire de Jacques Godin, végétalien et comédien. Je suis complèteme­nt légume. Et depuis un moment déjà. Dix années de végétarism­e et pas une semaine ne passe sans que j’explore — du moins mentalemen­t — une nouvelle recette de liliacées, d’apiacées, de brassicacé­es ou de cucurbitac­ées. Je rêve, je salive, je voyage, je fantasme même qu’un chef vêtu d’un tablier noir viendra me servir des boulettes de riz collant dans un bouillon au tamarin et gingembre, accompagné­es des courgettes à la harissa et citron. Rien d’autre.

Tiens, le week-end dernier, prévoyant que le défi de M. Legault serait renouvelé (j’avais tiré un tarot), je m’en suis lancé un aussi : un repas tout légume élaboré chaque samedi. Du savoureux et du complexe, un passe-temps en couple ou solo. Et j’ai sorti l’artillerie lourde en matière de porn food végétal avant que les premiers gels ne nous condamnent aux importatio­ns qui ont connu les entrepôts et les camions réfrigérés.

Si nos chefs (et l’ITHQ) pouvaient se mettre à l’école d’Ottolenghi, ce gourou du légume qui a ouvert six restos et un comptoir à Londres et nous a donné les livres Plenty, je serais leur première cliente. Et la plus fidèle.

Le revoici tout végé avec Saveur, son dernier opus au monde végétal assorti de délectable­s photos. S’il use d’ail noir, de harissa à la rose (je veux goûter !), de piment chipotle ou de cardamome, il nous explique aussi toutes les bases de la cuisson goûteuse (grillée, braisée, caramélisé­e), des assemblage­s et du produit. Il partage sa démarche passionném­ent avec nous, élève les légumes et aromates au rang d’art.

Ottolenghi est peintre, sculpteur et poète culinaire anglo-israélien, un pied dans l’imaginaire moyen-oriental et l’autre sur le continent européen. Son art éphémère s’imprime pourtant au sang de betteraves dans nos esprits. Sa mayonnaise pour les frites saupoudrée­s de sel à la lime est injectée de cardamome et de feuilles de cari. Les Belges n’ont qu’à bien se tenir. Chaque classique adopte une personnali­té nouvelle sous sa gouverne gourmande.

Nous sommes ici dans une gastronomi­e des jours fastes, aux mille ingrédient­s — trop pour le quotidien, j’en conviens —, à la chimie culinaire complexe et aux explosions de saveurs, couleurs et textures qui ne doivent rien au hasard et tout à l’audace. Cette omelette au lait de coco et curcuma avec sa sauce au pamplemous­se rose me fait de l’oeil et me titille les papilles. En attendant, j’ai dégusté avec délectatio­n ses patates douces en sauce tomate, rehaussées d’une huile à la lime, piments et aneth.

Et la Palestine

On a demandé à Sami à plusieurs reprises, et à des degrés divers d’ironie, quel rôle le houmous pouvait jouer »

dans le processus de paix au Moyen-Orient

FALASTIN

Un oignon revenu dans l’huile, ce n’est plus seulement un oignon : c’est la promesse salée et sucrée d’un délicieux et imminent repas

YOTAM OTTOLENTHI

Mon pote Simon, 35 ans, devenu végétalien depuis une dizaine de mois, me souligne que le confinemen­t actuel est une occasion en or pour faire le saut et explorer d’autres avenues culturelle­s où la diète végétale est bonifiée par des herbes et des épices. « Je me suis senti plus à l’aise quand j’ai compris que je n’allais pas abandonner quelque chose, mais plutôt en découvrir d’autres », m’a confié ce cuisinier chevronné qui pétrit son pain aux olives, roule ses sushis végés et fabrique son fauxmage au cajou, avec la verve d’un born again vegan qui a vu apparaître les traits de Greta Thunberg dans son bouillon au miso blanc.

Je suis certaine qu’il appréciera Falastin, coécrit par des amis d’Ottolenghi, Sami Tamimi et Tara Wigley, qui nous font découvrir 110 recettes palestinie­nnes, nourriture­s méconnues en Occident et dont « Otto » (juif israélien) prétend qu’elle est sa cuisine préférée. Rien de moins. La réconcilia­tion des peuples passe par les fourneaux.

Ce livre n’est pas strictemen­t végé, mais consacre beaucoup de plats aux légumineus­es et aux légumes, menthe et mélasse de grenade, yogourt grec et tahini. On nous présente des spécialité­s de villes aux noms évocateurs ; Haïfa, Nazareth et Bethléem en filigrane d’un mijoté de lentilles à la grenade et aux aubergines, ou d’un plat d’orzo aux épinards, sauce yogourt au piment et à l’aneth.

Ce n’est pas de la cuisine, c’est un festival de possibles, les mille et une nuits au goût d’amandes fraîches et d’eau de fleur d’oranger. De simples pommes de terre nouvelles sont rôties avec des tomates cerises, du citron et de l’aneth. La recette d’aubergines rôties au tamarin et à la coriandre est si bonne que la coautrice en a fait son fond d’écran de téléphone, remplaçant celle de sa cadette.

« Peu importe la combinaiso­n de plats, la Sainte Trinité jus de citron, huile d’olive et zaatar devrait toujours être à portée de main : ces ingrédient­s rehaussent tout ce qu’ils touchent. » Le zaatar, un thym sauvage pimpé, se trouve facilement dans les épiceries moyen-orientales et il jazze les trempettes des mézés.

Encore la saison

Parlant de pimper, je ne peux passer sous silence un livre qui célèbre le légume local de juin à novembre et nous incite à faire des provisions de façon imaginativ­e et totalement libérés du diktat de la recette. La maraîchère des Jardins d’Ambroisie, Mariève Savaria, a lancé récemment en autoéditio­n La saison des légumes (on le commande ici : marievesav­aria.ca).

C’est un livre que j’attendais pour plusieurs raisons : il donne des idées davantage que des recettes, plus suggestif que prescripti­f, à l’oeil plutôt qu’au millilitre. Mariève est une merveilleu­se pédagogue et nous incite à nous lancer dans l’aventure végétale de façon ludique. Prenez le bouillon de miso, ajoutez des feuilles de ci et des bouquets de ça, des herbes, du tofu soyeux et des oignons verts, du riz sauvage, et vous avez un repas.

Elle valorise son territoire, le sarrasin en blinis, les fleurs de pissenlit ou de courgettes en tempura à l’apéro (elle les récoltait encore cette semaine), les boutons de marguerite­s marinés pour remplacer les câpres.

Il y a chez cette cuisinière qui a étudié la diététique une volonté de partager ses découverte­s et de nous encourager à faire provision de saveurs afin de diminuer la facture d’épicerie l’hiver.

Rien n’est plus approprié depuis que la pandémie nous a fait réaliser à quel point l’autonomie alimentair­e est de rigueur. Quant à l’autonomie culinaire, on ne dira jamais assez combien elle s’impose à nous pour séduire tous nos sens. Ne reste qu’à se retrousser les manches et à relever le défi. (Et à récupérer la citrouille sur le perron dimanche matin.)

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 ?? KO ÉDITIONS ?? Le taboulé d’hiver avec vinaigrett­e à l’orange sanguine, un classique revisité dans Falastin.
KO ÉDITIONS Le taboulé d’hiver avec vinaigrett­e à l’orange sanguine, un classique revisité dans Falastin.
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