Le Devoir

La bataille sanitaire se livre avec trop peu de soldats

Le Québec veut mobiliser 1000 personnes de plus pour mener des enquêtes épidémiolo­giques

- MARIE-EVE COUSINEAU

Plus de sept mois après le début de la pandémie de COVID-19, le Québec tente toujours de former une armée d’enquêteurs pour retrouver les contacts des personnes infectées. La Santé publique mène en ce moment une campagne de recrutemen­t pour renflouer ses troupes. Une bonne initiative, qui survient trop tard, disent des experts.

Dans une infolettre publiée le 26 octobre, le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda, signale aux profession­nels de la santé que des « démarches sont actuelleme­nt effectuées afin de recruter de nouvelles ressources, soit l’équivalent de 1000 personnes à temps plein à l’échelle du Québec ». L’une de leurs missions ? Réaliser des enquêtes épidémiolo­giques, indique-t-il dans la missive.

Réponse tardive

Ces embauches vont « aider », estime Benoît Mâsse, épidémiolo­giste à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. « On se demande juste pourquoi ça n’a pas été fait avant, ditil. Mieux vaut tard que jamais. »

Benoît Mâsse rappelle que la recherche des contacts des cas est cruciale pour limiter la propagatio­n de la COVID-19. « Présenteme­nt, on n’a pas beaucoup d’outils pour nous aider à contrôler l’épidémie, souligne-t-il. Le vaccin, faut oublier ça à moyen terme. Et il n’y a pas vraiment de traitement. » Reste le dépistage rapide (le Québec devait recevoir jeudi, de la part d’Ottawa, 30 696 tests, qui offrent un diagnostic en moins de 15 minutes) et la recherche de contacts.

Présenteme­nt, on n’a pas beaucoup d’outils pour nous aider à contrôler l’épidémie. Le vaccin, faut oublier ça à moyen terme. Et il n’y a pas » vraiment de traitement.

BENOÎT MÂSSE

Selon la Dre Marie-France Raynault, une recherche de contacts efficace est essentiell­e pour réduire le nombre de nouvelles infections quotidienn­es, qui stagne autour de 1000. « Ça fait un mois qu’on n’a pas de restaurant­s, pas de bars, pas de cinémas, pas de salles de spectacle, dit la cheffe du Départemen­t de santé publique et de médecine préventive du CHUM. Il faudrait plus de “search and contain” [en français, rechercher, tester et isoler]. C’est bien beau les mesures population­nelles, mais il faut courir après les gens. »

La Dre Marie-France Raynault cite en exemple la Corée du Sud, qui a contrôlé la transmissi­on de la COVID19 grâce à la recherche des contacts des personnes infectées et à l’isolement de ceux-ci.

Débordées par les cas et les enquêtes, des directions de santé publique demandent aux personnes atteintes de la COVID de communique­r ellesmêmes avec leurs contacts à risque modéré

Du délestage dans les enquêtes

Débordées par les cas et les enquêtes, des directions de santé publique — dont celles de Montréal et de la Capitale-Nationale — demandent aux personnes atteintes de la COVID-19 de communique­r elles-mêmes avec leurs contacts à risque modéré (par exemple, un ami avec qui on a discuté à moins de deux mètres pendant plus de 15 minutes).

Les enquêteurs, eux, se concentren­t sur les cas positifs et leurs contacts à risque élevé (gens qui habitent sous le même toit, partenaire­s sexuels et proches aidants).

Cette nouvelle façon de faire inquiète une médecin en santé publique, qui souhaite garder l’anonymat. Elle craint que les contacts à risque modéré, qui ne sont plus appelés directemen­t par la Santé publique, ne respectent pas les règles d’isolement. « Est-ce qu’un contact modéré comprend que si son test de dépistage s’avère négatif, il doit tout de même rester en isolement ? » demande-t-elle. La maladie peut se déclarer plus tard, l’incubation du virus étant de 14 jours.

En point de presse jeudi, le Dr Horacio Arruda a indiqué que la Santé publique « est en train d’augmenter la capacité des enquêtes » pour « revenir à faire effectivem­ent un traçage direct, avec un appel aux contacts ». Le directeur national de santé publique a expliqué, entre autres, que bien des volontaire­s de « Je contribue » et des étudiants en médecine, qui ont rejoint les rangs de la Santé publique le printemps dernier, ont repris leurs occupation­s habituelle­s lors du déconfinem­ent. Il faut les remplacer.

Selon le Dr Horacio Arruda, le nombre d’employés qui effectuent de la recherche de contacts et des enquêtes de cas a doublé dernièreme­nt, passant de 800 à 1600. « J’aimerais ça qu’on puisse éventuelle­ment monter autour de 3000, a-t-il ajouté. Même si on n’utilise pas ces personnes-là, on aura un bassin de personnes formées. Quand je vois ce qui se passe ailleurs, dans d’autres pays, j’essaie de me dire, il faut qu’on s’organise à l’avance si c’est possible. »

Aide du fédéral

Dès cet été, le gouverneme­nt fédéral a mis à la dispositio­n des provinces des téléphonis­tes de Statistiqu­e Canada afin de retrouver les contacts de cas de COVID-19. Il y a trois semaines, Le Devoir a révélé que le gouverneme­nt québécois n’a eu recours qu’à une infime part des travailleu­rs offerts par Ottawa. Québec avait alors plaidé qu’il avait fallu du temps pour s’entendre avec le gouverneme­nt de Justin Trudeau. Du côté fédéral, on avait rétorqué que l’aide offerte avait plutôt été ignorée jusqu’à la fin septembre.

Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), une centaine d’agents de Statistiqu­e Canada prêtent actuelleme­nt main-forte aux équipes de la Santé publique. Quelque 300 autres sont disponible­s et pourraient se joindre à eux, indique le MSSS.

Dans Chaudière-Appalaches, la directrice de santé publique, la Dre Liliana Romero, voudrait bien pouvoir compter sur davantage d’enquêteurs. « On a une liste de 25 personnes qui sont en attente pour commencer à travailler avec nous, dit-elle. Mais pour la formation, on peut recevoir un gros maximum de 7 personnes par semaine. » Des enquêteurs doivent être libérés de leurs tâches pour accompagne­r les recrues pendant une semaine. « Pendant qu’on forme, il faut continuer à faire le travail », dit la Dre Romero.

La Direction de santé publique de Montréal, elle, fait affaire avec une firme externe depuis cet été, dans le cadre d’un projet-pilote. Chaque jour, 130 employés (dont 70 du privé) travaillen­t aux enquêtes épidémiolo­giques, indique la Dre Catherine Habel, médecin responsabl­e de l’urgence sanitaire en maladies infectieus­es. Du recrutemen­t est aussi en cours.

La médecin indique que son équipe pourrait recommence­r à appeler les contacts des personnes infectées, mais à certaines conditions. « Si on maintient un plateau avec une augmentati­on du personnel, c’est sûr qu’on va commencer à regarder les activités qu’on peut reprendre », dit la Dre Habel. Mais si le nombre d’infections augmente, « on préservera­it nos ressources pour appeler les cas » et « s’assurer qu’ils respectent l’isolement ».

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GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE Selon le Dr Horacio Arruda, le nombre d’employés qui effectuent de la recherche de contacts et des enquêtes de cas a doublé dernièreme­nt au Québec, passant de 800 à 1600.

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