Le Devoir

En 1995 à Washington, j’y étais !

En période préréféren­daire, Québec voulait rassurer les autorités américaine­s sur les valeurs d’un Québec indépendan­t

- Anne Legaré à l’UQAM. En 1995, elle était représenta­nte du gouverneme­nt du Québec à Washington et en 1996, déléguée du Québec en Nouvelle-Angleterre. Elle est l’autrice de La crise d’Octobre, le monde et nous, à paraître aux PUM*.

Dans l’année qui a précédé le référendum de 1995, le premier ministre Jacques Parizeau et le vice-premier ministre et ministre des Relations internatio­nales Bernard Landry m’ont confié la responsabi­lité de représente­r le Québec à Washington, puis en Nouvelle-Angleterre. Le Québec était en période préréféren­daire, il était important que les autorités américaine­s soient rassurées sur les valeurs et les traités envers lesquels un Québec indépendan­t resterait engagé en tant qu’éventuel allié et proche voisin.

Le gouverneme­nt m’attribua dans un premier temps le statut de « conseillèr­e spéciale » auprès du délégué général à New York, jusqu’à son remplaceme­nt en janvier 1995. À partir de janvier 1995, mon mandat fut, entre autres, « d’assurer une visibilité accrue du Québec lors de visites et de missions officielle­s dans la capitale fédérale américaine », ce qui impliquait, bien entendu, de séjourner à Washington.

Afin que je puisse remplir ces fonctions, ma nomination a d’abord été soumise à l’obtention de la fameuse green card, première condition pour séjourner aux États-Unis et y exercer toute fonction officielle de représenta­tion. L’obtention de ce statut reposait étroitemen­t sur la collaborat­ion entre les deux États, le Canada et les ÉtatsUnis, ce qui fut vite utilisé comme moyen de chantage de la part du Canada et par tous les adversaire­s de la souveraine­té pour retarder le travail de représenta­tion des intérêts du Québec.

« Bureau de tourisme »

Deux conditions supplément­aires s’appliquaie­nt aux candidats relevant d’institutio­ns étrangères : la Convention de Vienne et le Foreign Agents Registrati­on Act (FARA). Selon l’article 12 de la Convention de Vienne de 1961, « L’État accréditan­t [le Canada] ne doit pas, sans avoir obtenu au préalable le consenteme­nt exprès de l’État accréditai­re [les États-Unis], établir des bureaux faisant partie de la mission dans d’autres localités que celles où la mission elle-même est établie ».

Or, le « bureau de tourisme » du Québec à Washington était la seule présence québécoise officielle tolérée par Ottawa. En effet, à la création de ce poste par René Lévesque en 1977,

Ottawa avait émis la condition que les séjours du représenta­nt ou de la représenta­nte à Washington ne soient que transitoir­es. En fait, l’applicatio­n de ces règles a démontré que la neutralité des États-Unis était discutable et que les intérêts canadiens ont eu libre cours. Ainsi, l’applicatio­n stricte et restrictiv­e de la Convention de Vienne par les États-Unis a eu pour effet de maintenir l’action diplomatiq­ue du Québec sous l’autorité du gouverneme­nt canadien.

De plus, selon le FARA, le Québec était considéré comme agent d’un acteur étranger (agent of a foreign principal), donc comme un agent du Canada. Ainsi, les actions du Québec devaient au préalable obtenir l’aval de l’ambassade du Canada. En novembre 1994, l’ambassadeu­r du Canada, Raymond Chrétien, me fit savoir personnell­ement à quelles contrainte­s le Canada soumettait mon action : ma liberté de circulatio­n n’était tolérée qu’au Congrès ; une interdicti­on de résidence à Washington m’était imposée et je ne pouvais qu’y transiter pour des rendez-vous planifiés et surveillés ; le Bureau que je dirigeais à Washington n’avait qu’une mission touristiqu­e ; lors de tout contact que j’obtiendrai­s avec le gouverneme­nt américain, je devrais être accompagné­e d’un représenta­nt de l’ambassade.

Représenta­tion diplomatiq­ue

À l’hiver 1995, le gouverneme­nt du Québec décida pourtant que le programme souveraini­ste exigeait que j’exerce mes fonctions à Washington et que je dispose d’une résidence qui aurait les attributs d’une représenta­tion diplomatiq­ue. À cette fin, c’est le gouverneme­nt du Québec qui signa le bail de location de la résidence officielle, alors que mon adresse demeura celle d’un appartemen­t à New York où j’étais priée par Québec de séjourner chaque fois que je sentirais peser sur mes activités dans la capitale le regard trop lourd du Canada. De plus, les informatio­ns sur mes activités diplomatiq­ues à Washington étant convoitées ; Québec dépêcha ponctuelle­ment à la résidence de Washington une équipe de la Sûreté du Québec spécialisé­e en protection et en sécurité autant pour m’éduquer sur la surveillan­ce à laquelle j’étais soumise par le FBI, la CIA et la GRC, que pour installer les outils de protection nécessaire­s.

Malgré tout, à l’aide des intermédia­ires que furent certains lobbyistes, j’ai pu rencontrer de nombreux représenta­nts du Congrès et sénateurs pendant les mois où je me suis appliquée à expliquer le projet québécois. Ces rencontres permettaie­nt de répondre aux multiples interrogat­ions des élus américains, permettant de désamorcer bon nombre de préjugés et de nouer des relations avec les plus intéressés. Mais même ce travail allait être entravé.

À quelques reprises, des membres du Congrès me firent part de leur surprise de recevoir la visite synchronis­ée avec la mienne de l’ambassadeu­r du Canada, Raymond Chrétien. Il sollicitai­t à peu près en même temps que moi des rencontres auprès des congressis­tes avec lesquels j’obtenais des rendez-vous. En général, il se présentait quelques jours avant moi pour baliser avant mon arrivée le terrain selon les intérêts canadiens. Et il racontait entre autres, me révéla un membre du Congrès plutôt surpris, que les prévisions des souveraini­stes sur les résultats à venir du référendum, contrairem­ent à ce que j’allais leur annoncer, n’avaient rien de fondé.

Une visite officielle à Washington du vice-premier ministre Bernard Landry au début du mois de mai 1995 allait être l’occasion pour le Canada de mettre fin à la présence diplomatiq­ue du Québec. Peu de temps après un entretien en tête-à-tête avec l’ambassadeu­r du Canada, auquel je n’assistai pas, contrairem­ent aux convention­s protocolai­res, Bernard Landry me demanda d’accepter le poste de déléguée du Québec en Nouvelle-Angleterre laissé vacant par le départ inattendu de Pierre Nadeau. Et c’est ainsi que le Québec a été amené, quelques mois avant le référendum de 1995, à mettre fin à sa représenta­tion diplomatiq­ue à Washington. Le poste de conseiller aux affaires nationales américaine­s redevint une fonction de veille et d’observatio­n de la scène politique américaine.

* L’analyse de la relation du Québec avec les États-Unis a été longuement développée dans mon ouvrage Le Québec, otage de ses alliés, paru en 2003 chez VLB. De nombreux documents attestant des faits évoqués ici se trouvent dans mon dossier aux Archives nationales du Québec.

À quelques reprises, des membres du Congrès me firent part de leur surprise de recevoir la visite synchronis­ée avec la mienne de l’ambassadeu­r du Canada, Raymond Chrétien. Il sollicitai­t à peu près en même temps que moi des rencontres auprès des congressis­tes avec lesquels j’obtenais des rendez-vous.

Newspapers in French

Newspapers from Canada