Mon 30 octobre 1995
La journée la plus marquante de mes 23 premières années de vie
Après une nuit très difficile, j’ai vécu la journée la plus marquante de mes 23 premières années de vie.
Dans le cadre de la campagne du Oui-UQAM, dont j’étais le coordonnateur, nous avions envoyé en renforts une centaine de représentants dans les bureaux de vote de l’ouest de Montréal, où la base bénévole du Parti québécois et des petits partis souverainistes était évidemment limitée.
J’étais donc à l’ouvrage comme représentant du Oui dans un bureau de vote de Westmount–Saint-Louis, dans le coin des résidences étudiantes de l’Université McGill. L’essentiel de ma tâche était de contester l’admissibilité d’une soixantaine d’étudiants des résidences. En effet, si leur résidence principale (là où ils paient leurs impôts, ont leur assurance maladie, etc.) était dans une autre province, ils n’avaient pas droit de vote.
Difficile à contrôler, mais c’était assurément le cas d’une majorité de cette soixantaine de jeunes. J’ai donc systématiquement demandé qu’ils prêtent
À 49,4 % malgré les fraudes électorales manifestes des adversaires, nous pouvions nous considérer comme étant « en prolongation ». Nous avons collectivement plutôt choisi de pointer l’erreur de notre chef et sombré dans l’autoflagellation collective, dont nous ne sommes pas tout à fait sortis depuis.
serment pour jurer qu’ils avaient bel et bien « qualité d’électeur ». Ce qu’ils ont tous fait, souvent avec un grand sourire, se rendant ainsi passibles de poursuites. Évidemment, aucun de ces étudiants n’a été ensuite poursuivi par le tigre en papier qu’est notre Directeur général des élections.
Après le décompte des votes (évidemment pour le Non à un degré stalinien), j’ai sauté dans un taxi pour me rendre au Palais des congrès. Le reste est de l’histoire. Du discours de Parizeau, j’avais retenu le « On se crache dans les mains et on recommence ». À 49,4 % malgré les fraudes électorales manifestes des adversaires, nous pouvions nous considérer comme étant « en prolongation ». Nous avons collectivement plutôt choisi de pointer l’erreur de notre chef et sombré dans l’autoflagellation collective, dont nous ne sommes pas tout à fait sortis depuis.
Si l’erreur était grave et évidente, l’absence de racisme de « Monsieur » l’était tout autant. Il l’avait démontré avant, il l’a démontré après. Qu’il repose en paix : le Québec lui doit énormément, même s’il n’a pas réussi à aller au bout de son destin.
Nous qui, pourtant, voulions rapprocher les cultures, faire de chacun d’entre nous des pères fondateurs et des mères fondatrices du nouveau pays à venir, sommes devenus des parias.
Nous qui, pourtant, nous battions pour laïciser nos écoles, permettant ainsi aux enfants de différentes origines et confessions de fréquenter les mêmes classes. De se rapprocher. De bâtir un destin commun, sans gommer nos origines variées. Alors que nos adversaires exacerbaient les différences plutôt que d’oeuvrer au rapprochement, nous avons laissé l’histoire faire de nous les méchants, les « fermés ».
Mais au fond, tout ça est bien normal. L’histoire est écrite par les gagnants, et nous étions les perdants.
Nous n’avons pas poursuivi les tricheurs. Nous ne nous sommes pas craché dans les mains. « Les bons gars [et les bonnes filles] finissent toujours derniers », disait Yogi Berra.
C’est ça qui est ça. Ça fait 25 ans. Et ça fait encore mal.