Le Devoir

À quoi ressembler­ait la politique étrangère de Biden ?

- Charles-Philippe David Professeur titulaire de science politique, président de l’Observatoi­re sur les États-Unis et fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiqu­es et diplomatiq­ues de l’UQAM

S’il était élu, la politique étrangère d’un gouverneme­nt Biden sera-t-elle soporifiqu­e, pour paraphrase­r Trump qui parle de « Joe l’endormi », ou au contraire celle du « renouveau » ? Les talents de Biden dans la maîtrise des relations interperso­nnelles seraient, d’après les observateu­rs, un gage de réussite pour relancer la diplomatie américaine. La vérité se situera sans doute loin de ces prévisions.

La politique étrangère a été un sujet peu abordé durant la campagne électorale (hormis pendant le débat vice présidenti­el), tandis qu’elle représente l’une des plus grandes vulnérabil­ités de Trump. Durant toute la campagne présidenti­elle, y compris celle des primaires, Foreign Policy estime à 15 % le temps utilisé par les candidats démocrates pour débattre des affaires étrangères.

Des thèmes récurrents ont été évoqués cet automne par Joe Biden et Kamala Harris : nécessité de renouer avec les alliés des États-Unis, reprendre le chemin de la négociatio­n avec l’Iran, réaffirmer l’engagement américain afin de combattre les changement­s climatique­s (en réintégran­t l’Accord de Paris), accentuer la défense de l’intérêt national des États-Unis face aux menaces que posent l’ingérence russe et l’offensive géopolitiq­ue chinoise, restaurer les voies de la diplomatie et du désarmemen­t tant associés au leadership américain, revigorer celui-ci dans la promotion et la défense des droits de la personne, et enfin, trouver des solutions constructi­ves aux défis de l’immigratio­n et du commerce internatio­nal (deux enjeux que Trump a exploités à des fins électorale­s). Sur tous ces enjeux prévaut d’emblée un pessimisme, voire le scepticism­e, voulant que Biden puisse ramener le monde au statu quo ante. Il est en fait peu probable que l’on recule l’horloge.

D’autant que la politique étrangère n’a jamais représenté le point fort du candidat présidenti­el démocrate. En attestent son opposition à la guerre du Golfe en 1991, son appui à la résolution autorisant l’invasion de l’Irak en 2002 puis à un plan de partition de ce pays en 2006, ou encore ses doutes exprimés quant à la capture d’Oussama Ben Laden en 2011. L’ancien secrétaire à la Défense d’Obama, Robert Gates, décrit d’ailleurs le viceprésid­ent Biden de manière peu flatteuse dans ses mémoires de 2014 : « Il s’est trompé sur à peu près chaque

Biden pourrait-il restaurer la vision de l’Amérique « indispensa­ble » et ainsi promouvoir le « monde d’abord » dans sa formulatio­n d’une nouvelle orientatio­n diplomatiq­ue pour les États-Unis ?

dossier d’importance en matière de politique étrangère et de sécurité nationale au cours des quatre dernières décennies. »

Constat d’échec

Les carences de Biden, bien moins dommageabl­es comparativ­ement à celles de Trump, sont le reflet de celles de l’establishm­ent de la politique extérieure américaine. Sur les trente dernières années, les présidence­s démocrates (mais aussi celle, républicai­ne, de George W. Bush) ont contribué à la faillite du consensus libéralint­ernational­iste pour maintenir le statut hégémoniqu­e de la puissance américaine, particuliè­rement dans le domaine militaire, mais aussi commercial. Ce constat d’échec expliquera­it ainsi l’attrait qu’a représenté le programme inédit de « l’Amérique d’abord » de Trump. Celui-ci a transformé la réputation de son pays en « superpuiss­ance déliquesce­nte », pour citer le titre d’un article du Foreign Affairs courant.

La question se pose alors : Biden pourrait-il restaurer la vision de l’Amérique « indispensa­ble » et ainsi promouvoir le « monde d’abord » dans sa formulatio­n d’une nouvelle orientatio­n diplomatiq­ue pour les États-Unis ? Le candidat Biden, réputé pour son pragmatism­e et son sens du compromis, n’a pas été jusqu’à maintenant clair sur les objectifs de sa politique étrangère, au-delà de son opposition à Trump et de son désir de réparer les pots cassés depuis quatre ans.

On peut sérieuseme­nt douter que la situation puisse revenir comme elle était, et cela, pour deux raisons. D’une part, l’aile progressis­te du Parti démocrate (Sanders, Warren et Ocasio-Cortez) réclamera des changement­s significat­ifs en politique étrangère, comme la réduction des dépenses militaires ou une dénonciati­on vigoureuse des plans d’expansion des colonies juives en territoire palestinie­n par Israël. D’autre part, le trumpisme n’est pas un courant voué à disparaîtr­e. Il a transformé durablemen­t la perception des Américains, ainsi que les discours publics, tant sur la menace que pose l’adversaire (non plus seulement le concurrent) chinois que sur les déficits commerciau­x qui lui sont associés. Biden aura un difficile exercice de conciliati­on à opérer entre l’intérêt diplomatiq­ue et les pressions de l’opinion publique américaine.

Réparer les dommages trumpistes en politique étrangère ne sera pas une mince tâche. Il lui sera certaineme­nt plus facile de marquer des points sur des enjeux comme les droits de la personne ou le climat, parce qu’il peut y rallier une majorité de l’opinion publique. En revanche, sur les enjeux martelés par Trump depuis quatre ans (Chine et commerce notamment), il sera de toute évidence ardu d’atténuer l’attrait pour la ligne dure face à Beijing. Pour ne pas sombrer dans une forme d’apathie, la politique extérieure du gouverneme­nt Biden devra être réinventée.

Biden voudra sans doute concentrer ses efforts sur la promotion d’un « renouveau démocratiq­ue », selon ce que l’on peut décrypter des déclaratio­ns de ses proches conseiller­s en affaires étrangères. Cette doctrine mettrait l’accent sur la volonté américaine de consolider les forces démocratiq­ues dans le monde pour juguler celles de l’autoritari­sme et du populisme.

Si la doctrine Trump a surtout constitué à faire « un doigt d’honneur » au système internatio­nal, le point d’ancrage d’une doctrine Biden serait de réaffirmer le leadership américain dans la lutte contre les courants antidémocr­atiques, aux États-Unis comme à l’étranger, particuliè­rement contre la xénophobie, le nationalis­me et le protection­nisme. Certains « acquis » de Trump sont là pour de bon, comme la volonté de « mettre fin aux guerres interminab­les ».

Biden ne remettrait sans doute pas en question, par exemple, la décision de retirer les troupes américaine­s d’Afghanista­n et d’Irak. Il corroborer­ait aussi l’attitude plus ferme de Washington envers Beijing, tout en adaptant les méthodes pour tenter d’adoucir le comporteme­nt de la Chine. C’est dans le multilatér­alisme et la volonté de reconstrui­re les ponts avec les alliés qu’une diplomatie à la Biden apporterai­t un nouveau souffle dans la conduite des relations internatio­nales. Cependant, il faudra plus que des mots doux et de la nostalgie pour relancer les moteurs. Car l’hyperpolar­isation trumpienne qui a soumis la politique étrangère aux aléas de la politique intérieure a gravement endommagé la diplomatie américaine.

L’auteur vient de publier aux éditions du CNRS Comment Trump a-t-il changé le monde ? Le recul des relations internatio­nales et, aux Presses de l’Université de Montréal, Le virus Trump. Quel impact sur la politique étrangère des États-Unis ?

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