À quoi ressemblerait la politique étrangère de Biden ?
S’il était élu, la politique étrangère d’un gouvernement Biden sera-t-elle soporifique, pour paraphraser Trump qui parle de « Joe l’endormi », ou au contraire celle du « renouveau » ? Les talents de Biden dans la maîtrise des relations interpersonnelles seraient, d’après les observateurs, un gage de réussite pour relancer la diplomatie américaine. La vérité se situera sans doute loin de ces prévisions.
La politique étrangère a été un sujet peu abordé durant la campagne électorale (hormis pendant le débat vice présidentiel), tandis qu’elle représente l’une des plus grandes vulnérabilités de Trump. Durant toute la campagne présidentielle, y compris celle des primaires, Foreign Policy estime à 15 % le temps utilisé par les candidats démocrates pour débattre des affaires étrangères.
Des thèmes récurrents ont été évoqués cet automne par Joe Biden et Kamala Harris : nécessité de renouer avec les alliés des États-Unis, reprendre le chemin de la négociation avec l’Iran, réaffirmer l’engagement américain afin de combattre les changements climatiques (en réintégrant l’Accord de Paris), accentuer la défense de l’intérêt national des États-Unis face aux menaces que posent l’ingérence russe et l’offensive géopolitique chinoise, restaurer les voies de la diplomatie et du désarmement tant associés au leadership américain, revigorer celui-ci dans la promotion et la défense des droits de la personne, et enfin, trouver des solutions constructives aux défis de l’immigration et du commerce international (deux enjeux que Trump a exploités à des fins électorales). Sur tous ces enjeux prévaut d’emblée un pessimisme, voire le scepticisme, voulant que Biden puisse ramener le monde au statu quo ante. Il est en fait peu probable que l’on recule l’horloge.
D’autant que la politique étrangère n’a jamais représenté le point fort du candidat présidentiel démocrate. En attestent son opposition à la guerre du Golfe en 1991, son appui à la résolution autorisant l’invasion de l’Irak en 2002 puis à un plan de partition de ce pays en 2006, ou encore ses doutes exprimés quant à la capture d’Oussama Ben Laden en 2011. L’ancien secrétaire à la Défense d’Obama, Robert Gates, décrit d’ailleurs le viceprésident Biden de manière peu flatteuse dans ses mémoires de 2014 : « Il s’est trompé sur à peu près chaque
Biden pourrait-il restaurer la vision de l’Amérique « indispensable » et ainsi promouvoir le « monde d’abord » dans sa formulation d’une nouvelle orientation diplomatique pour les États-Unis ?
dossier d’importance en matière de politique étrangère et de sécurité nationale au cours des quatre dernières décennies. »
Constat d’échec
Les carences de Biden, bien moins dommageables comparativement à celles de Trump, sont le reflet de celles de l’establishment de la politique extérieure américaine. Sur les trente dernières années, les présidences démocrates (mais aussi celle, républicaine, de George W. Bush) ont contribué à la faillite du consensus libéralinternationaliste pour maintenir le statut hégémonique de la puissance américaine, particulièrement dans le domaine militaire, mais aussi commercial. Ce constat d’échec expliquerait ainsi l’attrait qu’a représenté le programme inédit de « l’Amérique d’abord » de Trump. Celui-ci a transformé la réputation de son pays en « superpuissance déliquescente », pour citer le titre d’un article du Foreign Affairs courant.
La question se pose alors : Biden pourrait-il restaurer la vision de l’Amérique « indispensable » et ainsi promouvoir le « monde d’abord » dans sa formulation d’une nouvelle orientation diplomatique pour les États-Unis ? Le candidat Biden, réputé pour son pragmatisme et son sens du compromis, n’a pas été jusqu’à maintenant clair sur les objectifs de sa politique étrangère, au-delà de son opposition à Trump et de son désir de réparer les pots cassés depuis quatre ans.
On peut sérieusement douter que la situation puisse revenir comme elle était, et cela, pour deux raisons. D’une part, l’aile progressiste du Parti démocrate (Sanders, Warren et Ocasio-Cortez) réclamera des changements significatifs en politique étrangère, comme la réduction des dépenses militaires ou une dénonciation vigoureuse des plans d’expansion des colonies juives en territoire palestinien par Israël. D’autre part, le trumpisme n’est pas un courant voué à disparaître. Il a transformé durablement la perception des Américains, ainsi que les discours publics, tant sur la menace que pose l’adversaire (non plus seulement le concurrent) chinois que sur les déficits commerciaux qui lui sont associés. Biden aura un difficile exercice de conciliation à opérer entre l’intérêt diplomatique et les pressions de l’opinion publique américaine.
Réparer les dommages trumpistes en politique étrangère ne sera pas une mince tâche. Il lui sera certainement plus facile de marquer des points sur des enjeux comme les droits de la personne ou le climat, parce qu’il peut y rallier une majorité de l’opinion publique. En revanche, sur les enjeux martelés par Trump depuis quatre ans (Chine et commerce notamment), il sera de toute évidence ardu d’atténuer l’attrait pour la ligne dure face à Beijing. Pour ne pas sombrer dans une forme d’apathie, la politique extérieure du gouvernement Biden devra être réinventée.
Biden voudra sans doute concentrer ses efforts sur la promotion d’un « renouveau démocratique », selon ce que l’on peut décrypter des déclarations de ses proches conseillers en affaires étrangères. Cette doctrine mettrait l’accent sur la volonté américaine de consolider les forces démocratiques dans le monde pour juguler celles de l’autoritarisme et du populisme.
Si la doctrine Trump a surtout constitué à faire « un doigt d’honneur » au système international, le point d’ancrage d’une doctrine Biden serait de réaffirmer le leadership américain dans la lutte contre les courants antidémocratiques, aux États-Unis comme à l’étranger, particulièrement contre la xénophobie, le nationalisme et le protectionnisme. Certains « acquis » de Trump sont là pour de bon, comme la volonté de « mettre fin aux guerres interminables ».
Biden ne remettrait sans doute pas en question, par exemple, la décision de retirer les troupes américaines d’Afghanistan et d’Irak. Il corroborerait aussi l’attitude plus ferme de Washington envers Beijing, tout en adaptant les méthodes pour tenter d’adoucir le comportement de la Chine. C’est dans le multilatéralisme et la volonté de reconstruire les ponts avec les alliés qu’une diplomatie à la Biden apporterait un nouveau souffle dans la conduite des relations internationales. Cependant, il faudra plus que des mots doux et de la nostalgie pour relancer les moteurs. Car l’hyperpolarisation trumpienne qui a soumis la politique étrangère aux aléas de la politique intérieure a gravement endommagé la diplomatie américaine.
L’auteur vient de publier aux éditions du CNRS Comment Trump a-t-il changé le monde ? Le recul des relations internationales et, aux Presses de l’Université de Montréal, Le virus Trump. Quel impact sur la politique étrangère des États-Unis ?