Une attaque au sabre préméditée
J’ai la nette impression de rejouer dans un vieux film, un film dont l’action se déroulait le 29 janvier 2017 à la mosquée de Québec
RÉGIS LABEAUME »
Deux chefs d’accusation de meurtre prémédité et cinq de tentative de meurtre pèsent contre le jeune homme à l’origine de l’attaque meurtrière qui a secoué le Vieux-Québec le soir de l’Halloween, dans la nuit de samedi à dimanche. Le drame a relancé le débat sur les ressources allouées à la santé mentale.
Carl Girouard, 24 ans, cheveux milongs, est demeuré impassible lors de sa comparution par vidéoconférence au palais de justice de Québec dimanche après-midi. Le jeune homme demeurera incarcéré jusqu’à sa prochaine comparution prévue jeudi. Son avocat s’est mis à la recherche d’un médecin pouvant traiter des problèmes psychiatriques.
« Hier soir, on a été plongés dans une nuit d’horreur lorsqu’un homme de 24 ans, qui ne réside pas à Québec, s’est présenté ici, chez nous, avec la ferme intention de faire le plus de victimes possible », a déclaré d’entrée de jeu le chef du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), Robert Pigeon, lors d’une conférence de presse plus tôt dans la journée.
Il était accompagné de la ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, du maire de Québec, Régis Labeaume, et du ministre fédéral Jean-Yves Duclos. Tous ont offert leurs condoléances aux familles des victimes.
« J’ai la nette impression de rejouer dans un vieux film, un film dont l’action se déroulait le 29 janvier 2017 à la mosquée de Québec, a déclaré M. Labeaume. C’est un événement hallucinant, terrifiant, un événement qui dépasse évidemment l’entendement. »
On ne sait toujours pas pourquoi le jeune homme de la Rive-Nord à Montréal s’est rendu à des centaines de kilomètres de chez lui, vêtu d’un costume médiéval, pour perpétrer plusieurs attaques avec un sabre japonais dans ce quartier habituellement paisible à cette époque de l’année. La lame de ce sabre de type katana peut mesurer entre 60 et 80 centimètres.
« Présentement, rien ne nous indique que les crimes ont été posés sur la base d’une motivation haineuse, religieuse, ethnique, d’orientation sexuelle, a affirmé M. Pigeon. Donc, on parle de motivations personnelles. »
Le jeune homme aurait immobilisé son véhicule près du Château Frontenac, puis se serait ensuite déplacé à pied. Le carnage s’est déroulé dans un secteur compris entre le Château Frontenac et la porte Saint-Jean entre 22 h 30 et 1 h du matin. Le suspect a tenu les policiers en haleine pendant plus de deux heures avant d’être arrêté à proximité d’Espace 400e, dans le Vieux-Port. Il a ensuite été transporté à l’hôpital.
« Il s’agit évidemment, croyonsnous, et encore une fois, d’un geste isolé, comme l’était l’attaque de la mosquée, a indiqué M. Labeaume. […] Je sens le besoin de rappeler que ce drame ne remet pas en question le fait que cette ville est une des plus sécuritaires au monde, mais il est difficile et quasi impossible de prévoir les conséquences de la folie découlant visiblement de problèmes de santé mentale. »
La ministre Guilbault s’est dite « dévastée » par les événements. « Ça nous plonge dans l’horreur, d’autant plus qu’hier, on est passés d’une soirée festive d’Halloween avec nos enfants, nos familles, nos voisins à cette nuit d’horreur dans notre ville de Québec, qu’on aime tant, qui est si sécuritaire et paisible normalement », a-t-elle souligné.
Ils ont tous deux salué le travail des policiers. L’opération a mobilisé deux groupes tactiques d’intervention, des patrouilleurs et des maîtres-chiens, « une multitude d’enquêteurs », une
dizaine de techniciens en identité judiciaire et un poste de commandement.
« La population de Québec est une fois de plus mise à l’épreuve, a réagi le premier ministre de la province, François Legault, dans une déclaration écrite. […] Aussi tragiques que soient ces événements, ne perdons pas de vue qu’ils ne sont en rien représentatifs d’une communauté caractérisée par son côté pacifique et chaleureux. »
Le drapeau sur la tour centrale de l’hôtel du Parlement est en berne et le sera jusqu’au crépuscule mardi, en mémoire des victimes.
Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’est dit « bouleversé » par cette attaque. « Je sais que la belle ville de Québec et ses résidents se relèveront de cette dure épreuve comme ils l’ont toujours fait dans les moments difficiles », a-t-il affirmé dans une déclaration écrite.
Nombreuses scènes de crime
Les policiers ont passé au peigne fin 25 scènes de crime dimanche, incluant le lieu de résidence du suspect, son véhicule et les lieux des attaques et de son arrestation.
La perquisition à son domicile de Sainte-Thérèse, sur la Rive-Nord à Montréal, s’est déroulée au petit matin. La Sûreté du Québec et la Régie intermunicipale de police Thérèse-De Blainville ont érigé un large périmètre de sécurité à l’intersection de la rue Vaudry et de la place Brosseau.
Certains habitants du secteur observaient la scène de leur fenêtre, tandis que des curieux se sont spécialement déplacés pour voir où l’attaquant présumé vivait. C’est le cas de Normand Dubois, qui réside à 15 minutes de voiture des lieux.
« Je voulais voir l’endroit pour comprendre, mais je ne comprends toujours pas pourquoi il a fait trois heures de voiture pour tuer du monde », a-t-il dit.
Le présumé meurtrier n’avait pas d’antécédents judiciaires, mais aurait avoué par le passé son intention de commettre une attaque comme celle de samedi. « C’est une information qui aurait été révélée dans un contexte médical il y a plus de cinq ans et ça ne relève pas de son dossier judiciaire », a confirmé le chef du SPVQ. Rien toutefois ne laissait présager qu’une telle attaque allait se produire à Québec le soir de l’Halloween, a pris soin d’ajouter M. Pigeon.
On ne sait pas si le stress lié à la pandémie aurait fait basculer le jeune homme de 24 ans dans une folie meurtrière. Quoi qu’il en soit, le maire Labeaume estime qu’il est plus que temps d’ouvrir le débat sur le lien entre les problèmes de santé mentale et la sécurité publique.
« On a besoin d’un débat national, canadien, là-dessus, parce que ça devient de plus en plus difficile à gérer dans les villes, ça devient de plus en plus difficile pour nos policiers et policières, qui deviennent des intervenants sociaux et ce n’est pas leur métier », a-t-il constaté.
« Je crois qu’il y a une prise de conscience collective, en tout cas, il y en a une à notre niveau au gouvernement, sur le fait que la santé mentale a trop longtemps été négligée ou même oubliée par rapport à la santé [physique] », a reconnu la ministre Guilbault.
Pour la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, Christine Grou, l’attaque de Québec « vient encore montrer l’importance de s’occuper de la santé mentale, qui a toujours été le parent pauvre du portefeuille de la santé, alors que c’est un enjeu de santé publique ».
« Il faut s’en occuper maintenant, sinon les effets sur la population vont durer bien plus longtemps que la pandémie de COVID-19 elle-même », s’est-elle inquiétée en entrevue au Devoir.
Ne souhaitant pas commenter le cas précis du suspect, dont elle ne connaît pas le dossier, la Dre Grou a toutefois souligné que la pandémie fait partie des facteurs aggravants en matière de santé mentale. Les besoins en services de psychologie étaient déjà grands avant la crise sanitaire et ils ont explosé depuis.
Du soutien psychologique est par ailleurs offert par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Capitale-Nationale à tous les citoyens de Québec qui en sentiraient le besoin à la suite de ces tragiques événements. Ils sont invités à téléphoner à Info-Social au 811. Une unité mobile a également été dépêchée dans le Vieux-Québec et sera en poste tous les jours de 13 h à 20 h à l’angle des rues Hébert et des Remparts.