L’État doit être exemplaire
On a fait grand cas de la responsabilité des municipalités dans le spectacle désolant de démolition et de négligence du patrimoine bâti au Québec. C’est en grande partie parce que les villes détiennent un pouvoir exagéré, qui a donné lieu ces dernières années à une série de destructions de joyaux immobiliers apparemment négligés, mal protégés et échappant à toute opération de mise en valeur. Le projet de loi 69 visant à modifier la Loi sur le patrimoine culturel, déposé jeudi dernier par la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, entend corriger ce vice important de la loi. Pour reprendre les mots de la ministre, il veut mettre fin aux « démolitions sauvages » d’édifices patrimoniaux. Un lot de nouvelles dispositions balisant la démarche menant à une destruction d’immeuble permet de croire en effet que les errements pourront être réduits : les municipalités régionales de comté (MRC) pourront citer un bien patrimonial, pourront délivrer une ordonnance de protection, auront le pouvoir d’annuler la décision d’une ville de démolir un bâtiment classé ou cité. En outre, les villes ne pourront activer le bulldozer sur un bâtiment patrimonial avant d’avoir affiché un avis public transmis au ministère, tenu une audience publique et consulté un conseil du patrimoine local. Ces propositions sont rassurantes.
Mais il faut retourner au rapport dévastateur diffusé en juin dernier par la vérificatrice générale (VG) du Québec, Guylaine Leclerc, pour comprendre que la négligence crasse des municipalités est doublée d’un autre manquement d’importance : l’absence d’exemplarité de l’État. En effet, les premiers mots de cet audit sévère ne renvoient pas à des villes fautives, mais bien à la totale faillite de l’État : « Le ministère de la Culture et des Communications n’assume pas adéquatement ses responsabilités en matière de patrimoine immobilier et il n’exerce pas le leadership attendu dans la résolution d’enjeux de sauvegarde qui existent depuis des décennies. »
Comment blâmer les municipalités d’un manque de culture quand on regarde dans la cour du gouvernement ? Pas de portrait complet des immeubles patrimoniaux, des délais de traitement des demandes avoisinant les 5 à 10 ans, un flou artistique entourant les critères permettant de définir « l’intérêt public » d’un bien.
Les constats de la VG ont brossé un tableau peu reluisant. Un grave manque d’encadrement des municipalités. Des interventions incohérentes et par conséquent inégales dans la réaction aux initiatives des villes. Une absence complète de proactivité, et donc un ministère toujours à la remorque des événements. Un portrait global incomplet, les informations essentielles à la fabrication d’une stratégie efficace n’étant pas au rendez-vous. Des propriétaires d’immeubles patrimoniaux substantiellement largués par l’État et ne disposant ni des outils de sauvegarde indispensables ni des moyens financiers. En somme, la démission du Québec en matière d’exemplarité.
Ainsi que le veut le jeu de la politique partisane, la CAQ pointe l’inaction des gouvernements précédents pour expliquer ces carences. Bien que ça n’efface pas le bilan des deux dernières années, il faut en effet rappeler que, dès 2000, le rapport Arpin avait établi que le manque de vision du Québec était l’une des sources de l’indolence collective en matière de protection du patrimoine. En 2016, le rapport Courchesne-Corbo visait la même cible. Pour obtenir l’adhésion des villes et des citoyens à un projet collectif de protection du patrimoine, l’exemplarité de l’État est indispensable. Classer un bien en catastrophe n’a pour ainsi dire à peu près pas de valeur utile — autre que la protection de l’édifice — si on n’a pas réussi à exposer l’importance de sa restauration, de son utilisation et de sa mise en valeur. Dit autrement : comment blâmer les municipalités d’un manque de culture quand on regarde dans la cour du gouvernement ? Pas de portrait complet des immeubles patrimoniaux, des délais de traitement des demandes avoisinant les 5 à 10 ans, un flou artistique entourant les critères permettant de définir « l’intérêt public » d’un bien. Dans un sondage effectué il y a un an auprès de 60 municipalités du Québec, la vérificatrice générale apprenait que 80 % des villes « affirment n’avoir reçu aucune communication du MCC en lien avec une vision du patrimoine immobilier ».
Pour colmater ces brèches, le PL 69 promet de réaliser d’ici cinq ans un inventaire des immeubles construits avant 1940, et s’engage à réduire le délai de traitement à un maximum de 90 ou 120 jours, selon le type de demande. Voilà des pas dans la bonne direction. Les ressources financières et professionnelles devront être au rendez-vous pour que ces engagements se traduisent en réalisations concrètes. Tous ces efforts supplémentaires pour améliorer la Loi sont heureux, mais ils ne viennent pas compenser l’un des principaux problèmes rattachés au respect du patrimoine bâti au Québec : le fait que plusieurs des leviers déjà présents dans la Loi n’ont pas été activés convenablement par le ministère de la Culture au fil des ans. Nous espérons la garantie que, cette fois, ils le seront.