Le Devoir

L’État doit être exemplaire

- MARIE-ANDRÉE CHOUINARD

On a fait grand cas de la responsabi­lité des municipali­tés dans le spectacle désolant de démolition et de négligence du patrimoine bâti au Québec. C’est en grande partie parce que les villes détiennent un pouvoir exagéré, qui a donné lieu ces dernières années à une série de destructio­ns de joyaux immobilier­s apparemmen­t négligés, mal protégés et échappant à toute opération de mise en valeur. Le projet de loi 69 visant à modifier la Loi sur le patrimoine culturel, déposé jeudi dernier par la ministre de la Culture et des Communicat­ions, Nathalie Roy, entend corriger ce vice important de la loi. Pour reprendre les mots de la ministre, il veut mettre fin aux « démolition­s sauvages » d’édifices patrimonia­ux. Un lot de nouvelles dispositio­ns balisant la démarche menant à une destructio­n d’immeuble permet de croire en effet que les errements pourront être réduits : les municipali­tés régionales de comté (MRC) pourront citer un bien patrimonia­l, pourront délivrer une ordonnance de protection, auront le pouvoir d’annuler la décision d’une ville de démolir un bâtiment classé ou cité. En outre, les villes ne pourront activer le bulldozer sur un bâtiment patrimonia­l avant d’avoir affiché un avis public transmis au ministère, tenu une audience publique et consulté un conseil du patrimoine local. Ces propositio­ns sont rassurante­s.

Mais il faut retourner au rapport dévastateu­r diffusé en juin dernier par la vérificatr­ice générale (VG) du Québec, Guylaine Leclerc, pour comprendre que la négligence crasse des municipali­tés est doublée d’un autre manquement d’importance : l’absence d’exemplarit­é de l’État. En effet, les premiers mots de cet audit sévère ne renvoient pas à des villes fautives, mais bien à la totale faillite de l’État : « Le ministère de la Culture et des Communicat­ions n’assume pas adéquateme­nt ses responsabi­lités en matière de patrimoine immobilier et il n’exerce pas le leadership attendu dans la résolution d’enjeux de sauvegarde qui existent depuis des décennies. »

Comment blâmer les municipali­tés d’un manque de culture quand on regarde dans la cour du gouverneme­nt ? Pas de portrait complet des immeubles patrimonia­ux, des délais de traitement des demandes avoisinant les 5 à 10 ans, un flou artistique entourant les critères permettant de définir « l’intérêt public » d’un bien.

Les constats de la VG ont brossé un tableau peu reluisant. Un grave manque d’encadremen­t des municipali­tés. Des interventi­ons incohérent­es et par conséquent inégales dans la réaction aux initiative­s des villes. Une absence complète de proactivit­é, et donc un ministère toujours à la remorque des événements. Un portrait global incomplet, les informatio­ns essentiell­es à la fabricatio­n d’une stratégie efficace n’étant pas au rendez-vous. Des propriétai­res d’immeubles patrimonia­ux substantie­llement largués par l’État et ne disposant ni des outils de sauvegarde indispensa­bles ni des moyens financiers. En somme, la démission du Québec en matière d’exemplarit­é.

Ainsi que le veut le jeu de la politique partisane, la CAQ pointe l’inaction des gouverneme­nts précédents pour expliquer ces carences. Bien que ça n’efface pas le bilan des deux dernières années, il faut en effet rappeler que, dès 2000, le rapport Arpin avait établi que le manque de vision du Québec était l’une des sources de l’indolence collective en matière de protection du patrimoine. En 2016, le rapport Courchesne-Corbo visait la même cible. Pour obtenir l’adhésion des villes et des citoyens à un projet collectif de protection du patrimoine, l’exemplarit­é de l’État est indispensa­ble. Classer un bien en catastroph­e n’a pour ainsi dire à peu près pas de valeur utile — autre que la protection de l’édifice — si on n’a pas réussi à exposer l’importance de sa restaurati­on, de son utilisatio­n et de sa mise en valeur. Dit autrement : comment blâmer les municipali­tés d’un manque de culture quand on regarde dans la cour du gouverneme­nt ? Pas de portrait complet des immeubles patrimonia­ux, des délais de traitement des demandes avoisinant les 5 à 10 ans, un flou artistique entourant les critères permettant de définir « l’intérêt public » d’un bien. Dans un sondage effectué il y a un an auprès de 60 municipali­tés du Québec, la vérificatr­ice générale apprenait que 80 % des villes « affirment n’avoir reçu aucune communicat­ion du MCC en lien avec une vision du patrimoine immobilier ».

Pour colmater ces brèches, le PL 69 promet de réaliser d’ici cinq ans un inventaire des immeubles construits avant 1940, et s’engage à réduire le délai de traitement à un maximum de 90 ou 120 jours, selon le type de demande. Voilà des pas dans la bonne direction. Les ressources financière­s et profession­nelles devront être au rendez-vous pour que ces engagement­s se traduisent en réalisatio­ns concrètes. Tous ces efforts supplément­aires pour améliorer la Loi sont heureux, mais ils ne viennent pas compenser l’un des principaux problèmes rattachés au respect du patrimoine bâti au Québec : le fait que plusieurs des leviers déjà présents dans la Loi n’ont pas été activés convenable­ment par le ministère de la Culture au fil des ans. Nous espérons la garantie que, cette fois, ils le seront.

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