Le Devoir

Le télétravai­l en direct d’une chambre d’hôtel |

La deuxième vague de COVID-19 est un coup dur pour le secteur hôtelier au Québec

- ANNABELLE CAILLOU

Déjà privés des touristes internatio­naux et des événements profession­nels, les hôtels du Québec sont frappés de plein fouet par la seconde vague de COVID19, qui a de nouveau réduit les déplacemen­ts interrégio­naux et vidé leurs établissem­ents. Espérant attirer une clientèle plus locale, certains proposent de louer à la journée une chambre transformé­e en espace de travail.

« On a 131 chambres en tout. Seulement 8 sont occupées samedi et 2 dimanche soir. Difficile de survivre si on continue comme ça. Il fallait qu’on essaie une nouvelle stratégie », explique Isabella Papa, directrice stratégie à l’hôtel Le Crystal, au centre-ville de Montréal.

L’établissem­ent 5 étoiles offre depuis une dizaine de jours de louer une chambre non pas la nuit pour y dormir, mais le jour pour y télétravai­ller. Café, wifi et stationnem­ent sont compris, ainsi qu’un accès à l’étage Bienêtre et spa, dont seule la piscine est toutefois ouverte présenteme­nt.

« Les gens sont en télétravai­l chez eux depuis mars, alors ça permet de changer de décor. Ça offre un endroit tranquille, sans problème de connexion, à des étudiants en colocation. Il y a aussi des parents qui trouvent ça plus difficile avec le retour des enfants de fin secondaire à la maison un jour sur deux. En venant travailler ici, ça leur donne un break et ils peuvent finir un dossier sans être distraits », dit-elle.

Puisque l’offre vient d’être lancée, l’hôtel n’en est qu’à ses premières réservatio­ns. Isabella Papa espère toutefois qu’elle saura attirer les clients et permettre à l’hôtel de passer à travers l’hiver.

À Québec, l’hôtel Normandin propose lui aussi depuis deux semaines de louer des chambres durant le jour en guise de bureau. « On n’a rien inventé. On a vu ça passer, au Québec et ailleurs dans le monde, et on s’est dit “pourquoi ne pas essayer?” », précise Louis Morency, directeur des ventes et marketing pour les hôtels Normandin.

À l’Hôtel et Suites Le Dauphin de Drummondvi­lle, cela fait depuis mars que l’on propose un forfait télétravai­l. La formule n’a toutefois pas donné les résultats escomptés. « On va se le dire : ce n’est pas ça qui va faire vivre les hôtels à l’avenir, c’est un micromarch­é. On en loue encore huit mois plus tard, mais pas beaucoup », confie Étienne Aubin, directeur marketing du groupe GenCaM, affilié au Dauphin.

L’établissem­ent n’a pas baissé les bras et redouble d’efforts pour exploiter d’autres marchés. Il propose notamment des hébergemen­ts pour l’hiver aux snowbirds qui ne pourront retourner aux États-Unis cette année. La semaine dernière, un tout nouveau forfait a aussi fait son apparition : le souper à l’hôtel.

« On a installé des tables dans 25 chambres. Les gens louent la chambre pour deux heures et on leur sert le souper, comme s’ils étaient au restaurant. » L’hôtel avait déjà une centaine de réservatio­ns avant même d’amorcer officielle­ment le projet jeudi dernier, et affichait plein en fin de semaine.

« Toutes ces initiative­s-là vont disparaîtr­e par la suite quand ça reviendra à la normale. On ne sait juste pas quand, alors, en attendant, il faut tout faire pour ne pas fermer », estime Étienne Aubin.

Faible achalandag­e

La deuxième vague de COVID-19 est un coup dur pour le secteur hôtelier. Certains établissem­ents commençaie­nt à peine à se relever de la première vague quand la seconde a frappé, avec le basculemen­t en zone rouge. Non seulement les déplacemen­ts entre régions sont déconseill­és, mais la fermeture des bars, des restaurant­s et des lieux culturels a éliminé tout attrait aux escapades d’un week-end.

« En août, on a réussi à avoir un taux d’occupation de 33 % dans la région de Québec. C’est catastroph­ique comparé à d’habitude, où on atteint plus de 90 %, mais c’est bien mieux que ce printemps ou présenteme­nt, où on frôle les 5 % », explique Marjolaine de Sa, directrice générale de l’Associatio­n hôtelière de la région de Québec.

Elle indique que plus d’une trentaine d’établissem­ents — sur environ 400 dans la région — ont dû fermer temporaire­ment. Et ce sont quelque 4000 employés qui se retrouvent au chômage. L’Associatio­n juge que les mesures d’aide mises en place par le gouverneme­nt — essentiell­ement un système de prêts — sont insuffisan­tes.

« Si on n’obtient pas davantage d’aide d’ici peu, 60 % de nos établissem­ents pourraient fermer complèteme­nt le printemps prochain, s’alarme Marjolaine de Sa. On a toujours été là pour aider les autres, pour accueillir des sinistrés, des sans-abri, on aide le milieu de la santé pour loger des patients, on loge les dignitaire­s en rencontre avec le gouverneme­nt ou encore les vedettes internatio­nales des festivals d’été. Aujourd’hui, c’est notre tour d’avoir besoin d’aide. »

Même son de cloche du côté de l’Associatio­n des hôtels du Grand Montréal. Comme au printemps, le taux d’occupation des établissem­ents de la région se situe entre 3 et 5 % actuelleme­nt. « Ça allait mieux cet été, on a même frôlé les 20 % en septembre avec la visite de beaucoup d’Ontariens. Et d’un coup, la fermeture imposée des restaurant­s et des activités culturelle­s a tout fait chuter », déplore la présidente de l’associatio­n, Ève Paré.

Repenser l’avenir

Pour éviter de mettre la clé sous la porte, certains établissem­ents risquent de changer d’usage, selon Mme Paré. Un phénomène observé après la crise financière de 2008, lorsque plusieurs hôtels se sont transformé­s en résidences étudiantes ou pour personnes âgées, tandis que d’autres se sont convertis en immeubles résidentie­ls en copropriét­é.

« Des crises, on va en vivre d’autres. On doit optimiser nos espaces et diversifie­r nos usages », croit Mme Paré, expliquant avoir déjà lancé le défi à des étudiants de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec.

De son côté, le titulaire de la chaire de tourisme Transat de l’ESG UQAM, Marc Antoine Vachon, se questionne sur la nécessité de changer le milieu en profondeur. « C’est bien de voir que les hôteliers cherchent des solutions. Ils font preuve d’imaginatio­n et d’innovation­s, ils restent actifs malgré la crise, certaineme­nt la plus grande qu’ils traversent. Mais quand on aura un vaccin et que les touristes seront de retour, on aura de nouveau grandement besoin d’hôtels pour les accueillir, ça ne changera pas. »

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L’hôtel 5 étoiles Le Crystal offre depuis une dizaine de jours de louer une chambre non pas la nuit pour y dormir, mais le jour pour y télétravai­ller. Café, wifi et stationnem­ent sont compris, ainsi qu’un accès à l’étage Bien-être et spa.
ADIL BOUKIND LE DEVOIR CORONAVIRU­S L’hôtel 5 étoiles Le Crystal offre depuis une dizaine de jours de louer une chambre non pas la nuit pour y dormir, mais le jour pour y télétravai­ller. Café, wifi et stationnem­ent sont compris, ainsi qu’un accès à l’étage Bien-être et spa.

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