Le soleil se couche
Les années Trump tirent peut-être à leur fin, mais on n’en a pas fini avec ce qu’aura signifié l’irruption de ce personnage au premier plan de la politique états-unienne et mondiale. À l’interne, cette campagne interminable (malgré une sourdine imposée par la pandémie) aura ravivé le spectre de la guerre civile, un siècle et demi après l’autre, qui ne s’est jamais vraiment conclue. Et démontré de façon cruelle le caractère vétuste, dangereusement dépassé, des institutions et des mécanismes de la démocratie américaine.
On en saura plus long cette semaine sur la résistance réelle — politique, judiciaire… physique ? — que pourraient opposer Donald Trump, ses partisans les plus radicaux, le Parti républicain et même, qui sait, une Cour suprême complice, à cette défaite annoncée.
Il reste possible que, dès mercredi matin, le triomphe de Joe Biden soit si net — avec des décisions rapides et irréfutables en Floride, dans le Midwest — qu’il assommera net toute velléité de manigances ou de contestations. On verra.
Mais rien de cela n’effacera l’héritage de Trump, ni le fait que sa présidence aura été tout autant le révélateur de tendances préexistantes que l’aggravateur d’une véritable crise de régime. Une crise qui affecte aussi, de façon décisive, l’influence des États-Unis dans le monde.
À l’international, les années Trump ont confirmé la tendance des États-Unis au retrait et à un déclin marqué de leur influence. Retrait en partie volontaire, accepté, puisque des actions délibérées — de l’actuel président, mais aussi de son prédécesseur — sont allées en ce sens.
Trump l’a fait d’une manière plus brutale, et sur davantage de fronts, que Barack Obama : retrait du projet de libreéchange en Asie, antagonisme agressif avec les « alliés » d’Europe, allant jusqu’à une remise en cause de l’OTAN. Et surtout, dénonciation en série d’engagements « multilatéraux », de traités et d’organisations auxquels souscrivait Washington : accords sur le climat et sur le nucléaire iranien, deux traités sur les armements, sans oublier, en cette année de pandémie, l’Organisation mondiale de la santé…
Mais Barack Obama lui-même avait engagé le mouvement, cherchant à sortir des bourbiers de l’Irak et de l’Afghanistan, gardant le pied sur les freins face à la guerre de Syrie.
Pendant un bref intermède, Obama avait restauré un ersatz d’autorité morale et de leadership des États-Unis. Mais jamais il n’a pu — ni sans doute voulu — rétablir, d’une façon moralement acceptée, l’ancienne toute-puissance états-unienne.
Ces deux présidents sont peut-être aux antipodes sur bien des plans. Et l’engouement naïf pour le premier lors de son arrivée en 2009 n’a aujourd’hui d’égale que la détestation du second, confirmée par les enquêtes sur la perception des États-Unis à l’étranger. Le Pew Research Center révélait par exemple en septembre que moins du quart des Européens font désormais confiance aux ÉtatsUnis en tant qu’alliés.
Avant ces deux-là, il y a eu George Bush fils. Lui croyait encore au mythe du pays surpuissant qui exporte ses valeurs et sa démocratie. Mais l’invasion de l’Irak et le bourbier de l’Afghanistan ont causé des dégâts irréversibles. L’idée fausse que les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN pouvaient, sans mal, frapper des États hors la loi et les ramener sur le droit chemin a explosé.
Chacune à sa manière, ces trois présidences ont accentué un fait implacable : le soleil se couche sur l’empire américain, sur la capacité objective de ce pays à modeler le cours mondial des choses.
Certes, la puissance militaire a de beaux restes. Elle peut freiner ce mouvement. Mais la puissance économique s’estompe ; le « leadership moral » si vanté est devenu une mauvaise blague : les actions de Trump à la frontière mexicaine n’en sont qu’un exemple. La « parole » donnée aux autres États ne vaut plus rien. La démocratie a mauvaise presse. Pendant ce temps, les Chinois s’engouffrent dans la brèche.
Une administration Biden cherchera à ralentir ces tendances, à rétablir certains ponts. Sur le changement climatique, un retour américain est possible.
Mais dans l’ensemble, rien n’y fait : à l’Ouest, le soleil se couche. Et il se lève à l’Est.