Le Devoir

Brider le chaos

Avec Papillon, Helen Simard cherche à offrir une plus-value à l’amoureux des arts vivants au régime sec

- LÉA VILLALBA COLLABORAT­RICE

Après plus de deux ans de réflexion, c’est en pleine pandémie qu’Helen Simard a dû monter sa nouvelle pièce, Papillon, dont la présentati­on prévue en salle à partir du 29 octobre a été contrecarr­ée par le coronaviru­s. Bien qu’éprouvée par un processus « difficile » sur le plan créatif, la chorégraph­e voit dans sa nouvelle version diffusée sur le Web une occasion d’élargir son public.

Helen Simard en était au début des répétition­s quand la fermeture des studios a été annoncée. « Ça faisait à peine trois ou quatre semaines que j’avais commencé à travailler avec les interprète­s en studio. On a donc dû finir le travail sur Zoom. » Les mois suivants ont été synonymes de rencontres virtuelles, d’improvisat­ion filmée et de discussion­s par écrans interposés.

Ce nouveau processus de création n’a pas été facile pour la chorégraph­e. « C’était difficile au début de bâtir la confiance dans la relation chorégraph­e-interprète, de créer une intimité, une proximité. Avec un écran, c’est beaucoup plus exigeant », se souvient-elle.

Après quelques répétition­s, les trois interprète­s (Nindy Banks, Mecdy JeanPierre, Victoria Mackenzie) et la chorégraph­e ont trouvé un rythme et une façon de travailler. Helen Simard leur a proposé des articles à lire, lançant des discussion­s sur des concepts mathématiq­ues ou abstraits. Elle a ensuite laissé les danseurs improviser devant la caméra pour qu’ils se nourrissen­t des mouvements des uns et des autres.

« Les mathématiq­ues, c’est beau et inspirant. Je pouvais leur donner une fractale, par exemple. Pas besoin de complèteme­nt comprendre le concept, il suffit de s’en imprégner physiqueme­nt, de laisser aller les corps », explique Helen Simard.

Pour Papillon, la chorégraph­e s’est aussi inspirée de la physique et de la théorie du chaos, illustrée par l’effet papillon, qui stipule qu’un petit changement peut avoir des effets importants sur tout un système. Ici, le système est représenté par le langage chorégraph­ique d’Helen Simard, largement imprégné de son parcours en hip-hop et de b-girling, et le changement vient de l’introducti­on d’un danseur et de son bagage personnel au sein de ce système. « J’ai souvent travaillé avec des danseurs contempora­ins pour mes créations. Là, j’avais envie de créer avec des danseurs aux univers variés, plus proches de la scène hip-hop, pour voir comment ils interpréte­raient mon mouvement », explique-t-elle.

Une vraie expérience

Malgré l’impossibil­ité de monter sur scène au printemps, l’équipe a gardé l’espoir de pouvoir dévoiler Papillon au public à l’automne. « On ne pouvait pas arrêter la recherche, il fallait continuer ! » se souvient Helen Simard.

Avec la possibilit­é de reprendre les répétition­s cet été et la réouvertur­e partielle des théâtres dans la foulée, la chorégraph­e a tout de même décidé de mettre en place un plan B. Et elle se trouve aujourd’hui « très heureuse » d’avoir anticipé le pire.

Sa version 100 % virtuelle est prête, et elle y voit une occasion de s’adresser à un plus large auditoire. « On sera tous ensemble devant nos écrans pour voir Papillon, et ça va créer une vraie expérience, j’en suis sûre. En plus, ça va permettre que des gens de partout dans le monde voient le spectacle », poursuit la créatrice.

Dans cette période si incertaine, Helen Simard cherche aussi à offrir une plus-value à l’amoureux des arts vivants, à aller plus loin dans cette création. Les représenta­tions initialeme­nt prévues auront tout de même lieu, mais devant une salle vide. La créatrice souhaite les documenter, en les filmant, peut-être en prenant des photos, en en faisant des dessins, des poèmes…

« Mon processus chorégraph­ique ne peut pas aboutir en spectacle live, mais peut aboutir à autre chose. Est-ce que je pourrai écrire un livre de poésie comme oeuvre qui ressort de ce processus ? Faire un essai photograph­ique ? La recherche doit se transférer dans un autre moyen d’expression », croit la chercheuse en danse.

Reste la frustratio­n de la non-présence. « Communique­r avec le public, c’est une des raisons pour lesquelles on fait ce métier. Ce n’est pas juste pour nous qu’on fait de l’art, c’est pour créer cette connexion ensemble grâce à la scène », explique-t-elle. Le public a choisi de faire contre mauvaise fortune bon coeur.

Malgré les directs annulés, Helen Simard ressent en effet un réel engouement de la part du public, ce qui démontre la nécessité de l’art en cette période tourmentée, selon elle. « L’art, c’est parfois juste un divertisse­ment, mais ça permet aussi de se confronter à nos émotions ou à des idées complexes. On vit un traumatism­e et un deuil collectif en tant que société en ce moment, tous en même temps, alors je pense vraiment que les gens ont envie de voir de l’art et en ont besoin. »

Papillon

Chorégraph­ie d’Helen Simard en collaborat­ion avec les interprète­s Nindy Banks, Mecdy Jean-Pierre, et Victoria Mackenzie, et les musiciens Rémy Saminadin, Roger White, Ted Yates. En webdiffusi­on le 5 novembre à 19 h 30. En retransmis­sion sur le Web du 13 novembre, à midi, au 15 novembre.

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