Le Devoir

100 millions de plus pour la santé mentale

L’annonce a été faite dans la foulée de l’attaque à Québec

- MYLÈNE CRÊTE CORRESPOND­ANTE PARLEMENTA­IRE À QUÉBEC

Le ministre Lionel Carmant a devancé lundi une annonce de 100 millions de dollars supplément­aires pour la santé mentale, deux jours après l’attaque du Vieux-Québec qui a coûté la vie à deux personnes et fait cinq blessés. L’argent servira, entre autres choses, à réduire les listes d’attente.

« Je pense que ce qui est arrivé en fin de semaine, c’est imprévisib­le et il n’y a personne qui pouvait prédire ce genre de geste là, a affirmé le ministre délégué à la Santé et aux Services sociaux. […] Mais ce qu’on est en train de faire ici, c’est de faciliter l’accès aux services de santé mentale. »

« C’est important pour moi — et pour nous tous — de venir rassurer la population [sur le fait] qu’il y a un plan, qu’on est en train de le mettre en place et qu’[elle va] voir des améliorati­ons significat­ives au niveau de la prise en charge de la santé mentale au cours des prochains mois et des prochaines années », a-t-il indiqué un peu plus tard.

Il s’est également gardé de faire un lien entre l’attaque et la pandémie tout en reconnaiss­ant son effet négatif sur le moral des gens. La somme annoncée lundi n’est pas récurrente et servira à bonifier les services en santé mentale jusqu’en mars 2022.

De cette somme, 25 millions de dollars seront utilisés pour réduire les listes d’attente dans le réseau de la santé et des services sociaux, 10 millions pour les jeunes de 17 à 34 ans en attente de services au niveau collégial et universita­ire. Un peu plus de 31 millions de dollars serviront à rehausser les services psychosoci­aux et en santé mentale dans les établissem­ents du réseau de la santé, et 19 millions serviront à créer et à implanter des équipes sentinelle­s qui iront à la rencontre des gens vulnérable­s « sur le terrain ».

Les organismes communauta­ires recevront 10 millions de dollars en 2021-2022 et 4,9 millions aideront à accélérer le déploiemen­t de la stratégie numérique en prévention du suicide et le rehausseme­nt de la ligne d’aide 1-866-APPELLE.

Le premier ministre François Legault s’est inquiété lundi de « l’augmentati­on des problèmes de maladie mentale » liés à la pandémie. « Oui, il

y a un risque associé à la pandémie que des personnes, parce qu’elles sont plus isolées, développen­t encore davantage de problèmes », a-t-il reconnu en mêlée de presse.

Il a rappelé, comme l’a fait le ministre Carmant, que son gouverneme­nt avait déjà réduit les listes d’attente pour les services en santé mentale de 28 000 à 16 000.

« Je suis heureux de voir que notre liste d’attente a diminué, s’est également réjoui le premier ministre François Legault en mêlée de presse. […] C’est encore beaucoup trop 16 000 personnes en attente de services depuis le mois de mars. »

M. Carmant a dit espérer « couper de façon très significat­ive, si ce n’est pas dire éliminer la liste d’attente ».

Or, la Coalition des psychologu­es du réseau public québécois doute de la diminution de la liste d’attente pour les services en santé mentale vantée par le premier ministre François Legault et le ministre Lionel Carmant.

« On sait que, pendant la COVID, il y a beaucoup de gens qui étaient sur les listes d’attente qui ont tout simplement reçu un appel pour voir comment ils allaient avec la situation de la pandémie, mais il faut comprendre que ça, ça n’assure pas un suivi », a déploré la porte-parole de la Coalition, la Dre Catherine Serra Poirier.

C’est l’une des stratégies qui seraient utilisées dans le réseau de la santé et des services sociaux pour faire diminuer la liste, selon le regroupeme­nt. Elle a cité en exemple le CIUSSS de la Capitale-Nationale, où les intervenan­ts de première ligne pour les services destinés aux adultes — psychologu­es, travailleu­rs sociaux, ergothérap­eutes, éducateurs et psychoéduc­ateurs — se voient offrir un suivi « en autogestio­n ». Il s’agit d’un suivi plus bref de cinq séances d’une durée variant entre 30 et 60 minutes, ce qui permet d’offrir des services à un plus grand nombre de personnes durant la pandémie.

« C’est de dire on va donner à tout le monde un petit plaster, puis finalement les vrais services, on ne va pas les offrir parce qu’on n’a pas la capacité », a dit la Dre Serra Poirier.

« Combien de personnes est-ce que je peux appeler dans une journée pour leur demander si ça va, si elles continuent à prendre des marches, à prendre un bain, à boire du thé par opposition aux patients que je peux prendre pour faire un suivi en psychothér­apie », a-t-elle expliqué.

Elle estime que cette démarche n’aidera pas une personne en dépression qui « va juste empirer pendant ce temps-là ».

La Coalition a récemment envoyé un mémoire au gouverneme­nt pour réclamer, entre autres, un rattrapage salarial « d’au moins 27,3 % » pour combler l’écart avec les psychologu­es en pratique privée et ainsi régler le problème d’attraction et de rétention dans le réseau public.

Les trois partis d’opposition ont réclamé une commission parlementa­ire pour faire le point sur ce qu’ils qualifient de « crise de santé mentale ». Le Parti libéral propose un programme qui financerai­t 15 séances de psychothér­apie. « Il faut en faire davantage que ce qui a été annoncé aujourd’hui, c’est d’ailleurs pourquoi nous avons proposé dans les derniers jours un programme universel à une vitesse pour les soins psychologi­ques », a rappelé le député David Birnbaum.

Québec solidaire demande « des investisse­ments permanents pour embaucher massivemen­t des gens dans le réseau public » afin que l’aide psychologi­que puisse être offerte rapidement. « Il faut plus que des annonces ponctuelle­s ou des investisse­ments pendant deux ans, il faut changer de paradigme : la santé psychologi­que doit être considérée au même titre que la santé physique par notre système de santé publique », a réagi le co-porte-parole du parti, Gabriel Nadeau-Dubois.

Le Parti québécois estime que l’annonce du ministre Carmant est « un pas dans la bonne direction », mais estime que « le débat doit aller plus loin ». « Il faut repenser le système avec l’aide d’experts pour prévenir, optimiser les services offerts à la population et pour rendre l’accès et les traitement­s en santé mentale accessible­s à tous les Québécois », a suggéré le député Joël Arseneau.

Avec Guillaume Bourgault-Côté

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