Le Devoir

Une bombe à retardemen­t, la chronique de Michel David

- MICHEL DAVID

Qu’on soit pour ou contre ses dispositio­ns, l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État (loi 21) entendait clore un débat qui faisait rage depuis une douzaine d’années, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Assemblée nationale. Tout le monde savait cependant qu’il s’agissait simplement d’une trêve.

En décembre 2019, la Cour d’appel du Québec a rejeté dans une décision partagée une demande de suspension de l’article 6 de la loi, qui interdit le port de signes religieux par les employés de l’État en position d’autorité, y compris les enseignant­s, en attendant que les tribunaux se soient prononcés sur le fond de la question. Cet examen a commencé lundi en Cour supérieure et se poursuivra jusqu’à la mi-décembre. Nul ne peut prévoir les conséquenc­es de l’ouverture de cette boîte de Pandore, qui pourrait bien être une bombe à retardemen­t.

D’entrée de jeu, la désignatio­n du juge Marc-André Blanchard a semé l’inquiétude chez les partisans de la laïcité. En 2018, il avait rendu un jugement contre la règle des services à visage découvert prévue par la loi 62 que le gouverneme­nt Couillard avait fait adopter l’année précédente. Cette dispositio­n, reprise par l’article 8 de la loi 21, allait causer un « préjudice irréparabl­e « aux femmes musulmanes, estimait-il.

L’historien et ex-candidat à la chefferie du PQ Frédéric Bastien, qui avait déjà dénoncé le parti pris de la juge en chef de la Cour d’appel du Québec, Nicole Hesler Duval, qui s’est prononcée en faveur de la suspension de la loi 21, doute aussi de l’impartiali­té du juge Blanchard, dont il souligne plusieurs décisions passées favorables aux opposants à la loi. Ainsi, il a accepté qu’un syndicat de fonctionna­ires fédéraux se joigne à la cause, même s’ils ne peuvent en aucun cas être touchés par ses dispositio­ns. Au total, les parties qui s’opposent à la loi sont cinq fois plus nombreuses que ceux qui la défendent.

En raison de la pandémie, la salle d’audience ne pourra pas accueillir tous ceux qui désireraie­nt assister au procès. M. Bastien propose donc qu’il soit rendu accessible en ligne sur demande, ce qui ne manquerait pas d’être instructif. Pour l’heure, la lutte contre le virus occupe cependant tous les esprits, et il est clair que l’affaire devra à terme être tranchée par la Cour suprême, ce qui n’est pas pour demain.

Chaque étape du processus judiciaire n’en alimentera pas moins le débat politique. À l’Assemblée nationale, la CAQ et le PQ ont voté pour la loi 21, le PLQ et QS ont voté contre. En revanche, tous s’accordent à dire qu’il appartient aux Québécois seuls de décider des règles du vivre-ensemble qu’ils entendent se donner. C’est précisémen­t pour s’en assurer que la dispositio­n de dérogation a été introduite dans la loi 21. Si elle est malgré tout invalidée par les tribunaux, ce qui est très possible puisque cette dispositio­n ne s’applique pas à tous les articles de la Charte canadienne des droits et libertés, force sera de conclure que ces règles leur sont imposées de l’extérieur.

En 2013, Jacques Parizeau, que personne n’a jamais tenu pour un apôtre du multi culturalis­me, avait suggéré au gouverneme­nt Marois de s’en tenir aux recommanda­tions de la commission Bouchard-Taylor, craignant que des dispositio­ns plus sévères n’accentuent encore la tendance des communauté­s culturelle­s à voir dans le gouverneme­nt fédéral leur défenseur contre les dérives du nationalis­me québécois. Justin Trudeau ne demande certaineme­nt pas mieux que de jouer ce rôle et, s’il est toujours premier ministre, Ottawa ne manquera pas d’intervenir devant la Cour suprême quand elle sera appelée à trancher.

Cela ne devrait pas survenir avant la prochaine élection québécoise, mais le dossier va rattraper François Legault tôt ou tard. Il est facile de reporter aux calendes grecque s les revendicat­ions constituti­onnelles que contient son« Nouveau projet pour les nationalis­tes du Québec » pour éviter d’essuyer un refus, comme les libéraux se sont abstenus de demander quoi que ce soit pendant des années, mais M. Legault ne pourra pas ne pas réagir à une invalidati­on de la loi 21, qui constituer­ait un véritable affront.

La « fierté » qu’il ne cesse d’évoquer pourra difficilem­ent se satisfaire d’une autre petite crise en point de presse, mais que faire si les Québécois ne veulent pas de l’indépendan­ce ? Il est vrai qu’ils ont baissé les bras devant l’érosion progressiv­e de la loi 101, avec les résultats qu’on constate aujourd’hui. Pourquoi se formaliser­aient ils davantage de la vue de quelques voiles à l’ école ou à la garderie ? Finalement, la bombe ne sera peut-être qu’un pétard mouillé.

À l’Assemblée nationale, la CAQ et le PQ ont voté pour la loi 21, le PLQ et QS ont voté contre. En revanche, tous s’accordent à dire qu’il appartient aux Québécois seuls de décider des règles du vivre-ensemble qu’ils entendent se donner.

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