Des policiers en première ligne
À Montréal, le SPVM reçoit chaque jour une centaine d’appels pour des troubles de santé mentale
Ça prend plusieurs heures à un médecin pour établir un diagnostic. Le policier n’a pas ce luxe de temps là p our »
prendre une décision. PIERRE SAVARD
Les policiers sont là pour combattre le crime, mais, de plus en plus souvent, ils doivent intervenir auprès de personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale. Au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), les policiers répondent à 100 appels de cette nature par jour, et la tâche est délicate. C’est pourquoi les associations de policiers réclament davantage de ressources et de collaboration avec les services de santé.
« Il n’y a plus de vols de banques, les crimes sont maintenant dans la sphère numérique, et la criminalité a baissé. Le psychosocial a pris la place. Je pense que le travail policier au XXIe siècle sera de plus en plus en intervention psychosociale. C’est 50 % de leur travail, parfois 60 % », résume Benoît Côté, directeur général de l’organisme PECH (Programme d’encadrement clinique et d’hébergement).
L’organisme travaille en partenariat depuis des années avec le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) afin d’intervenir auprès de personnes
en crise et de les prendre en charge, et ce, 365 jours sur 365, 24 heures sur 24. Selon lui, la désinstitutionnalisation et la détérioration des services de santé sont à l’origine de ce phénomène en croissance. Au centre de détention de Québec, la moitié des détenus ont un problème de santé mentale, dit-il.
« Ce sont les policiers et les policiers qui sont les premiers intervenants confrontés à la santé mentale. Ce ne sont pas le docteur, l’infirmière ou l’ambulancier », signale pour sa part François Lemay, président de la Fédération des policiers municipaux du Québec, qui va même jusqu’à dire que six à huit appels sur dix reçus par les services d’urgence sont liés à des enjeux de santé mentale.
Selon lui, il est temps que le ministère de la Sécurité publique et le ministère de la Santé collaborent pour conjuguer leurs efforts. Il prône aussi un partenariat plus étroit entre les policiers et les travailleurs sociaux.
Formation accrue
La gestion des cas de santé mentale a d’ailleurs incité l’École nationale de police du Québec (ENPQ) à Nicolet à adapter sa formation. Il faut dire que la mort tragique d’Alain Magloire, abattu par un policier en février 2014 lors d’une intervention policière qui a mal tourné, a servi d’électrochoc. Dans son rapport, le coroner Luc Malouin recommandait une amélioration des soins de santé aux gens atteints de maladie mentale ainsi qu’une meilleure formation pour les policiers afin d’améliorer leurs interventions avec cette population.
En 2017, 60 heures de formation ont été ajoutées au programme de techniques policières afin de traiter spécifiquement des problématiques de santé mentale. « Les policiers sont beaucoup mieux outillés qu’il y a 30 ans, mais il reste que c’est une problématique en croissance et qu’elle n’est pas propre au Québec », explique Pierre Savard, responsable de formation initiale à l’ENPQ.
Les policiers ont peu de temps pour agir, rappelle-t-il. « Le facteur temps est très restreint dans l’intervention policière. Ça prend plusieurs heures à un médecin pour établir un diagnostic. Le policier n’a pas ce luxe de temps là pour prendre une décision », souligne-t-il.
À Montréal, le SPVM compte plusieurs équipes chargées des interventions spécialisées, comme l’EMRII (Équipe mobile de référence et d’intervention en itinérance), l’ESUP (Équipe de soutien aux urgences psychosociales) formée d’un duo policier et travailleur social, et les patrouilleurs RIC (réponse en intervention de crise), qui sont au nombre de 275. « Le travail passe beaucoup par le maillage avec les partenaires de la santé. L’équipe mixte permet d’agir et de prendre en charge les personnes dès le début », explique Marie-Claude Dandenault, inspectrice à la Division de la prévention et de la sécurité urbaine.
Le président de la Fraternité des policiers du Québec, Yves Francoeur, estime toutefois que les équipes spécialisées sont en nombre bien insuffisant. Il dénonce aussi le phénomène des « portes tournantes », qui fait en sorte que des individus que les policiers conduisent à l’urgence ne sont pas pris en charge par l’hôpital. « Les policiers sont encore dans le stationnement de l’urgence en train de rédiger leur rapport quand ils voient la personne sortir de l’hôpital », dit-il.
L’an dernier, Yanick Campagna, un patrouilleur du SPVQ, avait d’ailleurs été suspendu après s’en être pris aux infirmiers d’un hôpital qui avaient refusé de voir un patient psychiatrique. Cité en déontologie, il avait dénoncé le phénomène des portes tournantes. En novembre 2019, il avait pu rencontrer la ministre de la Santé de l’époque, Danielle McCann, afin de la sensibiliser à cet enjeu.