Le Devoir

La traduction aurait pu faire du Québec un pays

- Marc Pomerleau Des commentair­es ou des suggestion­s pour Des Idées en revues ? Écrivez à rdutrisac@ledevoir.com.

L’indépendan­tisme catalan a connu une croissance vertigineu­se au cours des quinze dernières années, passant d’une option obtenant 15 % d’appui à près de 50 %. Parmi la population de langue maternelle non catalane, c’està-dire les hispanopho­nes et les allophones, l’appui à l’indépendan­ce se situerait à 26 %. Cela peut sembler faible, mais ce pourcentag­e est de trois à cinq fois supérieur au taux d’appui à l’indépendan­ce chez les non-francophon­es du Québec, qui se situerait sous la barre des 10 %, voire des 5 %.

Comment les indépendan­tistes catalans peuvent-ils obtenir de tels résultats chez les non catalanoph­ones ? Les facteurs sont multiples, mais nous avons une piste de réponse : ils traduisent. Et ils ne traduisent pas en deux ou trois langues. Dans le corpus de documents indépendan­tistes que nous avons étudié, nous avons relevé 38 langues, dont les principale­s langues de l’immigratio­n en Catalogne. Ce constat fait état d’un souci, de la part des organisati­ons indépendan­tistes, de communique­r avec les gens dans leur langue maternelle.

Est-ce que le quart des non catalanoph­ones catalans sont en faveur de l’indépendan­ce parce qu’on s’adresse à eux dans leur langue ? De toute évidence, ce n’est pas si simple. Cependant, il est reconnu que, lorsqu’on s’adresse à un public dans sa langue, la réception est bien meilleure. Cela a été démontré à maintes reprises. En 2011, par exemple, un rapport de la Commission européenne sur les préférence­s linguistiq­ues en matière de navigation en ligne a indiqué que 90 % des gens utilisent toujours la

version d’un site dans leur propre langue lorsque celle-ci est offerte. De même, deux rapports de Common Sense Advisory (2006 et 2014) sur les préférence­s linguistiq­ues pour les achats en ligne ont démontré qu’une offre de produits et services dans la langue du consommate­ur influe sur son comporteme­nt : au moment d’acheter des produits, la grande majorité des gens, environ les trois quarts, préfèrent le faire à partir de sites où l’on offre de l’informatio­n dans leur langue. Qui plus est, même si un site est offert dans une langue qu’ils maîtrisent — comme l’anglais lingua franca —, les consommate­urs ont tendance à y passer moins de temps, et à y consommer moins, que si ce site était offert dans leur langue maternelle. Toutes les études sur les habitudes de consommati­ons des hispanopho­nes aux États-Unis vont dans le sens des rapports cités.

En somme, plusieurs études démontrent que plus on offre de contenu dans la langue d’une personne, plus il y a de chances que cette personne adhère au produit proposé. Évidemment, les choix politiques des individus ne se font pas comme des choix de consommati­on. Toutefois, les partis politiques tentent bel et bien de « vendre » des idées et des projets ; no dans le cas des organisati­ons indépendan­tistes québécoise­s, le projet à vendre est celui de l’indépendan­ce nationale. Et la langue de vente est le français, seulement le français, notre lingua franca et langue officielle. Un tour d’horizon des sites Web des principaux partis québécois et des organisati­ons indépendan­tistes québécoise­s le montre également.

Cependant, nous l’avons vu, l’utilisatio­n d’une lingua franca seule n’est pas la stratégie de vente optimale. D’une part, elle n’est — et ne sera — jamais comprise par tous, ne serait-ce qu’en raison des mouvements de population. D’autre part, même lorsqu’une personne maîtrise cette lingua franca, elle préfère toujours utiliser si possible la langue qui lui est la plus familière.

Le Québec est composé de gens de toutes origines qui parlent de nombreuses langues, et l’adoption de la langue française par les nouveaux Québécois non francophon­es se fait nécessaire­ment graduellem­ent, au fil des années et des génération­s. Et même lorsque les gens ont appris le français, comme nous l’avons démontré à la lumière de travaux dans divers domaines, ils préfèrent toujours avoir accès à de l’informatio­n dans leur propre langue. Il est peut-être temps, pour les organisati­ons et partis indépendan­tistes du Québec, de traduire un peu, comme le font ceux de Catalogne. Rappelons qu’il y a 25 ans, un peu plus de votes pour le « Oui » chez les anglophone­s et les allophones auraient donné la victoire aux indépendan­tistes. Croyez-le ou non, mais la traduction aurait pu faire du Québec un pays.

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