Le Devoir

Le régime en crise de légitimité après l’échec du référendum

Le Oui l’a emporté, mais le taux de participat­ion fut un plus bas historique depuis l’indépendan­ce, en 1962

- AMAL BELALLOUFI

Le pouvoir algérien a essuyé un camouflet cinglant avec une abstention record dimanche lors du référendum constituti­onnel censé fonder une « Algérie nouvelle » et plébiscite­r le président, Abdelmadji­d Tebboune.

Le Oui l’a emporté avec 66,8 % des suffrages exprimés, mais le taux de participat­ion final s’est établi à 23,7 %, un plus bas historique pour un référendum depuis l’indépendan­ce, en 1962. Cet échec représente un désaveu humiliant pour l’instigateu­r de la révision constituti­onnelle, le président Tebboune, mal élu en décembre 2019 et actuelleme­nt hospitalis­é en Allemagne. Il pourrait plonger le régime dans une nouvelle crise de légitimité.

D’abord, la nouvelle Constituti­on n’a pas séduit les Algériens.

« La nouvelle mouture [du texte] n’a pas apporté grand-chose par rapport à l’ancienne Constituti­on. Nous sommes dans une situation de reproducti­on du régime », analyse Cherif Driss, professeur de sciences politiques à l’Université d’Alger. Cette Constituti­on n’est qu’un « lifting, un replâtrage, mais rien n’a changé sur le fond ».

Quelle leçon en tirer ?

L’abstention record confirme le manque d’intérêt manifesté par les Algériens lors d’une campagne électorale à sens unique, sans débats, sans prise en compte des avis de l’opposition. Ceux qui ont appelé au boycottage et à voter Non n’ont pas eu voix au chapitre médiatique.

Enfin, la pandémie de COVID-19, en pleine recrudesce­nce en Algérie, n’a pas arrangé les choses. Ses effets économique­s et sociaux ont accentué le mécontente­ment populaire.

Le taux de participat­ion consacre un « désaveu massif » et un « échec de la démarche politique du pouvoir », relève M. Driss, notant que moins de 15 % des électeurs ont approuvé cette Constituti­on.

« C’est une nouvelle consolidat­ion du boycottage des urnes comme la seule réponse des citoyens. Le boycottage est désormais le plus grand parti politique dans un pays dépourvu de véritable assise politique et partisane », souligne Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerran­éen, à Genève.

Le pouvoir politique pensait en finir avec le « Hirak », le soulèvemen­t populaire inédit né en février 2019 et qui réclame un changement du système politique en place depuis l’indépendan­ce, en 1962. Il s’est de toute évidence trompé.

Que va devenir le président ?

Grand absent du scrutin, le président Tebboune, qui a fait de la réforme de la Constituti­on un projet phare, « pierre angulaire » de la « nouvelle Algérie », est hospitalis­é dans un « grand établissem­ent spécialisé » en Allemagne après l’annonce de cas suspects de coronaviru­s dans son entourage. Son état serait « stable et non préoccupan­t », selon la présidence. Mais peu d’Algériens doutent que M. Tebboune, âgé de 74 ans et gros fumeur, soit atteint de la COVID-19.

La plus grande incertitud­e règne quant à son avenir politique immédiat du fait de son hospitalis­ation, au milieu de rumeurs alimentées par le silence officiel sur son état.

Pourra-t-il promulguer la nouvelle Constituti­on, comme il est de son devoir de le faire, avant son entrée en vigueur ?

Dans l’hypothèse où il reprendra ses fonctions, le président, isolé, devra « faire face à une situation qui affaiblit son pouvoir », juge le professeur Driss, estimant qu’avec une « Constituti­on au rabais », sa légitimité est « très bancale ». Cela va dépendre de la réaction du régime face à ce rejet massif et sans précédent dans les urnes.

Soit la Constituti­on passe à la trappe et le pouvoir décide de revoir sa copie, en entamant un dialogue sérieux avec les forces sociales du pays (partis politiques, syndicats, associatio­ns autonomes…). « Hypothèse très peu probable », selon M. Driss.

Soit il s’entête à imposer son programme en validant cette Constituti­on au mépris de la volonté de la majorité écrasante des Algériens, au risque d’accroître encore le fossé entre la population et ses dirigeants.

« Le résultat du référendum vient de creuser le fossé entre le peuple et les décideurs du moment. Le déni n’est plus une option crédible pour régler la question centrale de la légitimité en Algérie », observe Hasni Abidi.

La nouvelle mouture [du texte] n’a pas apporté grand-chose par rapport à l’ancienne Constituti­on. Nous sommes dans une situation de reproducti­on du régime. Cette Constituti­on n’est qu’un lifting, un replâtrage, mais rien n’a changé sur le fond.

CHERIF DRISS »

C’est une nouvelle consolidat­ion du boycottage des urnes comme la seule réponse des citoyens. Le boycottage est désormais le plus grand parti politique dans un pays dépourvu de véritable assise politique et partisane.

HASNI ABIDI »

 ?? RYAD KRAMDI AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Un bulletin de vote lors du comptage, dimanche. Ce référendum représente un désaveu humiliant pour l’instigateu­r de la révision constituti­onnelle, le président Abdelmadji­d Tebboune.
RYAD KRAMDI AGENCE FRANCE-PRESSE Un bulletin de vote lors du comptage, dimanche. Ce référendum représente un désaveu humiliant pour l’instigateu­r de la révision constituti­onnelle, le président Abdelmadji­d Tebboune.

Newspapers in French

Newspapers from Canada