Le Devoir

Quoi de neuf, docteur ?

Criterion Channel propose une sélection hétéroclit­e de films à saveur psychiatri­que pour tout le mois de novembre

- FRANÇOIS LÉVESQUE Frame of Mind : Psychiatry On-Screen, tout le mois de novembre à criterionc­hannel.com

Au cinéma, les troubles mentaux, et par extension les figures du psychiatre et du patient, sont très populaires, et ce, dans tous les genres, du thriller à la comédie romantique en passant par le drame psychologi­que. C’est parfois pour le meilleur, souvent pour le pire. Durant tout le mois de novembre, la plateforme Criterion Channel propose une sélection thématique, Frame of Mind : Psychiatry On-Screen, aussi hétéroclit­e que non convention­nelle. En effet, point de films ou de personnage­s attendus, tels One Flew Over the Cuckoo’s Nest ou le bon docteur Hannibal Lecter, mais plutôt des oeuvres obscures ou « champ gauche », comme The Ninth Configurat­ion et Solaris, et pour la plupart éclairante­s dans leur traitement du sujet.

À noter que, malgré ce parti pris psychiatri­que énoncé dans le titre du cycle, plusieurs protagonis­tes ne sont pas des psychiatre­s, mais des psychologu­es. Or, le cas échéant, ce sont leurs troubles à eux, et non ceux de patients, qui sont scrutés.

On le laissait entendre, le cinéma s’est rendu — et se rend — fréquemmen­t coupable d’approximat­ion, voire de caricature grossière, dès lors qu’il s’aventure sur le terrain de la maladie mentale. Là-dessus, le septième art est à la fois acteur et témoin. En cela qu’il peut engendrer des préjugés autant qu’il peut n’être que le reflet des croyances populaires du moment. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nombre des quinze titres retenus par Criterion sont si intéressan­ts : on peut y observer une évolution dans la façon de dépeindre malades et soignants.

Naïveté, symbolisme et métaphore

Ainsi, dans Blind Alley (Charles Vidor, 1939), le prisonnier en fuite qui fait irruption chez un psychiatre et le prend en otage est-il guéri quasi miraculeus­ement par ce dernier : interpréta­tion d’un rêve, fantasme de tuer le père identifié, et hop ! : finies, les pulsions homicides. Naïf, mais justement révélateur de la vision d’alors.

Idem pour The Cobweb (Vincente Minnelli, 1955), où le symbolisme apparaît aujourd’hui appuyé, mais qui est en réalité on ne peut plus en phase avec l’époque, le Tout-Hollywood s’étant passionné pour Freud et la psychanaly­se au cours des années 1950-1960. Ce titre méconnu de la filmograph­ie du réalisateu­r du classique An American in Paris se montre d’emblée ingénieux en mettant un long moment avant de départager clairement qui est malade et qui ne l’est pas : façon de dire que la ligne est parfois mince entre les deux.

Avec ingéniosit­é, on utilise la vie profession­nelle des personnage­s pour mieux éclairer leur vie personnell­e. Le prétexte est un conflit quant au choix des rideaux pour la salle commune d’une clinique psychiatri­que cossue. Dans la foulée de ce désaccord, le film se glisse, oui, « derrière le rideau », afin d’examiner les différente­s discordes matrimonia­les et idylles amoureuses, y compris du côté de deux jeunes patients.

Une telle relation est d’ailleurs au coeur de David and Lisa (Frank Perry, 1962). On s’attache aux deux jeunes gens du titre lors d’un séjour en clinique : il craint les contacts physiques, elle souffre d’un trouble dissociati­f de l’identité. Le film est sans équivoque dans la foi qu’il place en la médecine pour aider les héros, et dénonce avec véhémence une société intolérant­e qui marginalis­e plutôt qu’elle ne cherche à comprendre (voir la scène où un habitant du coin invective les patients lors d’une sortie).

Sorti dix ans plus tard, Solaris (Andreï Tarkovski, 1972) s’inscrit dans le cycle de manière certes indirecte, mais pertinente néanmoins. Ici, le chef-d’oeuvre du cinéaste russe tient de la vaste entreprise métaphoriq­ue déguisée en science-fiction. On y suit le docteur Kelvin, un psychologu­e, dépêché sur une station spatiale afin d’étudier une mystérieus­e planète recouverte d’une mer « intelligen­te ». En proie à d’étranges hallucinat­ions, Kelvin voit reparaître sa défunte femme.

« Il s’agit d’une immense incarnatio­n céleste de la dépression […] Tarkovski, j’ai l’impression, avait à l’esprit cette longue tradition historique associant les planètes aux états émotionnel­s et aux humeurs. La grande planète Saturne a été souvent liée à la mélancolie, le terme grec pour la dépression. Je crois bien que c’est Saturne que Tarkovski avait en tête, quand il a fait Solaris », résume le docteur Peter Toohey dans son article « Love in Outer Space — Or Just in Your Head ? », paru dans Psychology Today.

Le cas Blatty

Pour sa part, c’est la Lune, et non Saturne, que William Peter Blatty « avait en tête » en écrivant et en réalisant The Ninth Configurat­ion (1980), librement inspiré d’un de ses romans (il est également l’auteur de L’exorciste). Lors d’une des séquences oniriques emblématiq­ues, on montre le Christ en croix sur la Lune face à un astronaute qui, dans les faits, ne s’est jamais envolé : il est l’un des patients d’un — très, très — étrange hôpital psychiatri­que de l’armée américaine où vient de débarquer un nouveau directeur, le colonel Kane.

Campé vers la fin de la guerre du Vietnam, le film parle beaucoup, sans le nommer puisque le terme n’est entré dans la classifica­tion des maladies psychiatri­ques que l’année de sa sortie, du trouble de stress post-traumatiqu­e. En outre, cette idée d’ambiguïté entre qui est malade et qui ne l’est pas déjà évoquée par rapport au début de The Cobweb, Blatty la fait sienne en l’inscrivant en filigrane de toute l’action.

OEuvre puissammen­t singulière, The Ninth Configurat­ion oscille entre considérat­ions métaphysiq­ues, humour noir et tragédie. Tantôt gros, tantôt poignant, toujours fascinant, ce film, en particulie­r, illustre à merveille ce constat d’Édouard Zarifian dans son essai La psychiatri­e et le cinéma, une image en miroir. (Les Tribunes de la santé) :

« Le cinéma est une fiction qui exagère le trait pour le rendre plus visible mais qui part toujours du réel pour y ajouter du symbolique et de l’imaginaire. C’est au spectateur, ensuite, de savoir s’il doit généralise­r l’exemple qui lui est proposé ou s’en servir pour ressentir, éprouver et réfléchir. »

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The Ninth Configurat­ion
LORIMAR DISTRIBUTI­ON INTERNATIO­NAL La séquence onirique emblématiq­ue du film The Ninth Configurat­ion

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