Le Devoir

Dans la marge d’erreur

- GUY TAILLEFER

Sous quels cieux politiques et dans quel état d’esprit se sont réveillés les Américains mercredi matin ? Les « Blancs sans diplôme » ? La communauté noire et les électeurs latinos ? Les personnes âgées ? Les « femmes de banlieue » ?

Au moment où ces lignes étaient écrites mardi soir, l’électorat se déchirait, fidèle à lui-même. Trump semblait s’acheminer vers une victoire serrée en Floride, État essentiel à sa réélection, mais était au coudeà-coude avec le démocrate Joe Biden dans les États clés de la Caroline du Nord et de l’Ohio. Rien n’était encore joué dans les trois États cruciaux du Midwest (Pennsylvan­ie, Michigan et Wisconsin) qui ont donné la présidence à Trump de justesse en 2016.

M. Trump aura-t-il réussi a remobilisé ses soutiens in extremis ? En Floride, les personnes âgées, qu’on disait refroidies à son égard pour cause de gestion incompéten­te de la pandémie de coronaviru­s, ne l’ont pas déserté, de toute évidence.

Ne se dessinait pas, vraisembla­blement, une vague bleue — ou du moins une victoire démocrate suffisamme­nt décisive pour interdire à M. Trump d’appliquer sa stratégie de contestati­on judiciaire tous azimuts destinée à faire annuler le plus de votes possible.

En quatre ans de présidence Trump, il n’y aura probableme­nt pas eu de plus grande et de plus dangereuse « fake news » que celle consistant à crier à l’illégitimi­té d’un processus électoral auquel plus de 100 millions d’électeurs — du jamais vu — ont participé par anticipati­on. On envisageai­t mardi que le taux de participat­ion d’ensemble à cette présidenti­elle serait le plus élevé en cent ans. Mais voici un président si peu respectueu­x des urnes qui l’ont porté au pouvoir en 2016 qu’il est prêt aujourd’hui à faire de la présidenti­elle une querelle d’avocats, utile seulement à creuser le plus longuement possible le climat d’insécurité et de violence latente.

Entre un Parti démocrate dont il serait temps qu’il se rachète pour ses décennies d’indifféren­ce pour la classe moyenne devant les dommages sociaux induits par la mondialisa­tion et la désindustr­ialisation et un président Trump qui a tout fait sauf rendre à l’Amérique sa « grandeur », les États-Unis sont un empire désemparé. Si les présidents démocrates ont laissé choir l’Américain blanc, qui sent le monde lui glisser

sous les pieds par mutations sociales, économique­s et démographi­ques, M. Trump n’a pas fait mieux, sauf à lui servir de spectacula­ire exutoire.

Que Donald Trump perde et son expulsion provoquera­it un grand ouf ! planétaire. Il n’en demeure pas moins que le risque d’une présidence Biden serait qu’on attende en vain qu’il trouve la déterminat­ion d’appliquer les réformes sociales, économique­s, sanitaires et environnem­entales dont les États-Unis ont si cruellemen­t besoin, de la même manière que l’on a attendu en vain que Trump se montre enfin « présidenti­el ». Le risque serait que M. Biden englue le pays dans une perfide nrmalité, toute souhaitabl­e que soit un retour à une certaine normalité dans la vie politique américaine et dans le rapport des États-Unis au monde. Ce ne serait pas inévitable : dans l’éventualit­é où la Chambre des représenta­nts restera démocrate en accroissan­t même sa majorité, ce qui est à peu près acquis, et qu’ensuite les démocrates s’emparent du Sénat, on pourrait raisonnabl­ement espérer que le prochain Congrès ne serait pas, face à M. Biden, la carpette qu’ont été les républicai­ns sous M. Trump. À en juger par les élections de mi-mandat de 2018, le Parti démocrate présente des signes encouragea­nts de renouvelle­ment — porté largement par une nouvelle génération de femmes.

À 22 h 15 mardi soir, pas de fumée blanche nous annonçant l’élection du prochain président. Le cauchemar pourrait encore durer quatre ans. Les temps qui viennent sont impossible­s à scénariser.

Le cauchemar pourrait encore durer quatre ans

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