Le Devoir

L’avenir commence maintenant

- JEAN-ROBERT SANSFAÇON

Il est trop tôt pour porter un jugement éclairé sur la compétence de la nouvelle ministre fédérale des Finances, Mme Chrystia Freeland, mais il faut lui reconnaîtr­e sa capacité à bien expliquer les motifs à la base des décisions de son important ministère. Dans un discours prononcé la semaine dernière devant la Chambre de commerce du Montréal métropolit­ain, Mme Freeland a rappelé qu’Ottawa continuera­it à dépenser ce qu’il faut pour soutenir les individus et les entreprise­s frappés par la crise, au risque d’ajouter des milliards à la dette fédérale.

Appuyant son argumentat­ion sur les analyses du Fonds monétaire internatio­nal, la ministre conclut « qu’il est plus dangereux et qu’il pourrait être plus coûteux d’en faire trop peu que d’en faire trop ».

À ceux qui craignent qu’une telle accumulati­on de dettes soit aussitôt suivie de plusieurs années d’austérité douloureus­e, Mme Freeland répond que la crise actuelle est bien différente de celles du passé : d’abord parce qu’elle n’est pas due à des défaillanc­es du système financier, puis parce que les taux d’intérêt sont bas et le resteront longtemps. Ainsi, alors que les intérêts sur la dette fédérale équivalaie­nt à 6 % du PIB en 1995, ils n’atteignent même pas 1 % du PIB cette année.

Il n’y a que du vrai dans cette analyse du temps présent. Mais pour l’avenir, allez savoir ! Si un ou plusieurs vaccins efficaces sont mis sur le marché d’ici quelques mois, on peut déjà prédire un retour à la normale dans la plupart des secteurs. Quant à fournir une définition précise de ce qu’on entendra par « normal » dans un an ou deux, c’est une autre histoire. Quelle proportion des employés retournera au bureau ? Quelle sera la fréquentat­ion des transports collectifs ? Et celle des théâtres ? Qu’adviendrat-il du secteur aéronautiq­ue ?

Même raisonneme­nt pour ce qui est des finances publiques où le facteur temps prend toute son importance : c’est une chose d’attendre des gouverneme­nts qu’ils suppléent aux ratés de l’économie pendant six à douze autres mois, c’en serait une autre si la crise dure plus longtemps.

Dans son allocution, Mme Freeland présente les interventi­ons du gouverneme­nt fédéral en deux temps : d’abord le soutien d’urgence, ensuite le plan de relance constitué d’« investisse­ments ciblés et soigneusem­ent réfléchis à grande échelle ». Et ce n’est qu’après cela qu’un gouverneme­nt libéral se donnera des « cibles budgétaire­s » et « des garde-fous » que la ministre des Finances identifie à « la méthode canadienne d’avant la pandémie ». Quand précisémen­t, Dieu seul le sait.

Et en passant, de quelle « méthode canadienne » est-il ici question ? Celle du tandem Chrétien-Martin marquée du sceau des compressio­ns à l’assurance-emploi, de Stephen Harper et le plafonneme­nt des transferts aux provinces, ou celle de Justin Trudeau pour qui aucun plan de retour à l’équilibre budgétaire n’était nécessaire malgré une ère de prospérité ?

Le gouverneme­nt Trudeau n’a pas présenté de budget en bonne et due forme depuis l’hiver 2019, et tout indique que l’attente durera au moins jusqu’en février ou mars 2021… si des élections ne sont pas déclenchée­s entre-temps.

Heureuseme­nt, nous aurons droit à une mise à jour d’ici quelques semaines. Mais pour ce qui est du fameux plan établissan­t « les fondements d’une économie verte, innovatric­e et juste qui assure des bons emplois », pour reprendre les qualificat­ifs ronflants utilisés par la ministre, ce plan « pour une relance durable, robuste et équitable », quand y aurons-nous droit ?

Jusqu’à ce jour, le gouverneme­nt de Justin Trudeau a réagi beaucoup mieux et plus rapidement à la crise de la COVID-19 que Stephen Harper à la récession de 2008-2009. Après huit mois de crise, les données sur la croissance et l’emploi nous montrent que le Canada fait partie des pays qui s’en tirent le mieux sur le plan économique.

Cela dit, la bataille est loin d’être gagnée. Si les mesures d’urgence ont bien joué leur rôle de maintien du pouvoir d’achat de millions de ménages, certaines catégories de travailleu­rs et de travailleu­ses du bas de l’échelle dans les secteurs touchés par le confinemen­t font face à une détresse persistant­e. Ces gens ont besoin de plus que l’aide des banques alimentair­es.

Quant à l’avenir, s’il est encore trop tôt pour savoir de quoi il sera fait, c’est aujourd’hui qu’il commence. Il est plus que temps qu’on nous dise, à Ottawa, ce qu’on entend concrèteme­nt par « fondements d’une économie verte, innovatric­e et juste ». Si Mme Freeland excelle en pédagogie, il lui reste à faire la preuve qu’elle sait faire mieux que son chef le moment venu de passer du théâtre à la réalité.

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