Le Devoir

Oui à une réforme, et cela presse !

- Jean-Pierre Girard Chargé de cours ESG / UQAM, HEC Montréal

Comme peu d’autres événements depuis la mise en place du système actuel de santé au Québec au début des années 1970, la COVID a révélé ses limites. Tel médecin prend des initiative­s dans son établissem­ent sans attendre l’autorisati­on des supérieurs et se fait semoncer, la catastroph­e innommable des CHSLD, où l’on cherche en vain quelqu’un de responsabl­e à l’échelle locale, et à travers tout cela un système qui met au jour deux failles béantes : une hypercentr­alisation et la quasi-absence de citoyens dans la gouvernanc­e de ce système. Ce sont deux réalités en porte-à-faux à la fois avec les idéaux qui ont présidé à la mise en place de ce système au début des années 1970 et avec les grands consensus internatio­naux sur des systèmes de santé perméables aux besoins et aux particular­ités des milieux.

Composante clé de la constructi­on d’un État moderne, le système tel que l’avait imaginé la commission qui a réfléchi sur le sujet dans les années 1960, la commission Castonguay-Nepveu, concevait un système planifié, coordonné et intégré. On reconnaiss­ait alors aussi l’implicatio­n de la société par une participat­ion des citoyens à la gouvernanc­e des instances régionales et des établissem­ents. Il est utile de rappeler que la mise en place des CLSC s’est appuyée sur des cliniques populaires constituée­s dans les années 1960, qui avaient comme principe fondateur la participat­ion citoyenne, cette idée voulant que la santé ne doive pas rester la chasse gardée des seuls profession­nels de la santé […]

Utopie, balivernes que tout cela ? Absolument pas, cette idée est prégnante dans la déclaratio­n finale de la grande conférence mondiale sur les soins de santé primaires organisée en 1978 à Alma-Ata, dans l’ex-URSS. Selon cette déclaratio­n, les soins de santé primaires […] exigent et favorisent au maximum l’auto responsabi­lité de la collectivi­té et des individus et leur participat­ion à la planificat­ion, à l’organisati­on, au fonctionne­ment et au contrôle des soins de santé primaires.

[…] Vingt ans après le rapport Castonguay-Nepveu, la commission Rochon constate que le système est pris en otage par les groupes d’intérêt qui le composent. La participat­ion citoyenne en est une victime collatéral­e.

Plus globalemen­t, sur une période de 50 ans, de réforme en réforme, la participat­ion citoyenne dans la gouvernanc­e des établissem­ents du réseau est simplement laminée, notamment par des pratiques d’uniformisa­tion et de standardis­ation. Le paroxysme est atteint avec la réforme Barrette, qui pousse à un niveau extrême cette centralisa­tion du système et l’évacuation quasi complète de la voix citoyenne. Ce radiologis­te de formation avait une sainte horreur de la démocratie sanitaire et était sourd aux grands consensus internatio­naux, par exemple la déclaratio­n d’Astana sur les soins de santé primaires qui, en 2018, célébrait les 40 ans de la déclaratio­n d’Alma-Ata.

Rappelant que plus de 80 % des besoins en santé trouvent réponse dans les services de santé primaires, la déclaratio­n d’Astana souligne que ces services devraient contribuer à l’habilitati­on des citoyens et des communauté­s comme légataires de leur santé et, en ce sens, ils sont les mieux placés pour exprimer les attentes de politiques oeuvrant dans cette direction.

Ultimement, ces citoyens et communauté­s devraient être les architecte­s des services de santé et services sociaux qui vont y contribuer. En somme, on encourage les citoyens et les communauté­s à jouer un rôle actif dans la conception, la planificat­ion et la gestion de leur système de santé, on appelle à les soutenir dans la prise de décision et à les rendre également responsabl­es.

La crise de la COVID l’a révélé : il y a urgence nationale à redonner à ce système de santé de la latitude, de la souplesse, à ouvrir la porte à de l’innovation, à des initiative­s, à sortir de cette idéologie toxique du « one size fit all », qui revient à dire que ce qui est bon à Montréal doit nécessaire­ment l’être à Rouyn-Noranda ou à Amqui, et plus encore, à renouer avec la contributi­on des citoyens dans la gouvernanc­e des établissem­ents, qui, après tout, ont certaineme­nt une valeur ajoutée en ce qui touche la connaissan­ce de leur milieu, plutôt qu’un quelconque cadre supérieur souvent situé à des centaines de kilomètres de l’établissem­ent.

Il y a impérieuse nécessité de recréer des liens entre la société civile et les établissem­ents de santé. La démonstrat­ion est depuis longtemps faite : meilleure est la qualité du débat et l’inclusion des parties prenantes, plus légitimes et efficaces sont les décisions qui en découlent.

Du même coup, il faudrait en finir avec cette conception binaire des acteurs de la santé ici au Québec, qui ne consiste qu’à voir des acteurs publics ou privés à finalité lucrative dans la propriété et la gestion des établissem­ents de santé, hôpitaux, cliniques et autres.

Pour mémoire, une des cliniques populaires des années 1960 a résisté à cet asphyxiant processus d’institutio­nnalisatio­n dont ont été victimes les autres. Après 50 ans, la clinique communauta­ire de Pointe-Saint-Charles a fait la démonstrat­ion magistrale qu’il est possible pour les citoyens de jouer un rôle actif dans la gouvernanc­e d’un établissem­ent de santé et de proposer une approche sanitaire qui tienne compte des déterminan­ts de la santé : alimentati­on, logement, pollution, etc.

Plus récemment, d’autres structures démocratiq­ues semblables ont aussi graduellem­ent occupé un espace plus important, en l’occurrence les coopérativ­es de santé, dont l’emblématiq­ue SABSA de Québec, une coopérativ­e de solidarité qui, avec la contributi­on d’infirmière­s-praticienn­es, fait la démonstrat­ion que près de 90 % de cas traités, y compris des cas complexes, ne nécessiten­t pas de médecin.

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