Le Devoir

Les oubliés du plan québécois en santé mentale

- Coalition des psychologu­es du réseau public québécois *

Alors que les psychologu­es du réseau public informent le gouverneme­nt de ce qui pourrait régler les problèmes majeurs de rétention et d’attraction de cette profession depuis plus d’une décennie, le plan en santé mentale de 100 millions présenté cette semaine ne les a pas considérés. Pour améliorer l’accès aux psychologu­es, le gouverneme­nt a plutôt choisi une solution temporaire qui prendra fin en mars 2022 : le remboursem­ent, par le gouverneme­nt, des frais liés aux services psychologi­ques offerts par des psychologu­es en bureau privé.

Si cette propositio­n peut être louable à court terme pour diminuer les listes d’attente, elle doit toutefois impérative­ment aller de pair avec l’améliorati­on des conditions de travail des psychologu­es du réseau public, notamment un rattrapage salarial et une valorisati­on de leur autonomie profession­nelle. Sans quoi, le remboursem­ent des frais des psychologu­es du privé à un tarif beaucoup plus élevé que ce que reçoivent les psychologu­es employés du gouverneme­nt accélérera lourdement l’exode de ces derniers, qui se battent depuis trop longtemps déjà pour une meilleure reconnaiss­ance.

Certains peuvent alors se demander : a-t-on vraiment besoin de psychologu­es dans le réseau public ? Pourquoi la population ne pourraitel­le pas juste recevoir les services de psychologu­es en cabinet privé ? Pour répondre à ces questions, il faut comprendre ce qui rend uniques les psychologu­es du réseau public et ceux qu’ils desservent, c’est-à-dire des personnes qui pparticuli­è resouvent des problèms multifacto­riels qui requièrent l’interventi­on d’une équipe interdisci­plinaire ou une expertise spécifique. À titre d’exemples, voici quelques situations dans lesquelles les psychologu­es du réseau public se retrouvent quotidienn­ement.

Un étudiant qui a fait des menaces de mort et qui commence à se radicalise­r.

Une fillette qui s’oppose à ses traitement­s pour le cancer par peur de la douleur et qui devra être hospitalis­ée plus longtemps pour cette raison.

Un adolescent négligé à répétition qui a des comporteme­nts violents et qui accepte l’aide du psychologu­e de la DPJ pour traiter ses difficulté­s relationne­lles.

Une femme qui souffre d’anorexie sévère, dont la condition médicale se détériore et qui risque d’être hospitalis­ée.

Un adolescent présentant des idées suicidaire­s qui ne veut pas dire à ses parents qu’il s’automutile et qui reçoit les services de la psychologu­e de son école.

Un enfant hospitalis­é et orphelin à la suite d’un accident de voiture qui développe des symptômes de stress posttrauma­tique et des difficulté­s à s’investir dans sa réadaptati­on physique.

Une personne qui se présente souvent à l’urgence en raison de troubles psychotiqu­es.

Une famille de réfugiés qui arrive au Québec avec un lourd bagage de traumas et qui ne parle ni le français ni l’anglais.

Les psychologu­es travaillen­t avec ces personnes afin d’apporter des changement­s significat­ifs et durables pour les aider à faire face à leurs peurs, à leurs défis et à leurs traumas. Devant les spécificit­és et la complexité de ces situations, les psychologu­es ne peuvent intervenir seuls dans bien des cas et ont la chance de pouvoir compter sur la collaborat­ion de leurs précieux partenaire­s, qui ont tous un rôle distinct à jouer : travailleu­ses sociales, médecins, psychoéduc­atrices, infirmière­s et physiothér­apeutes, pour ne nommer que ceux-ci.

Bien souvent, pour le psychologu­e qui travaille dans le réseau public, il ne serait pas envisageab­le de prendre en charge en cabinet privé le type de clientèle qu’il reçoit dans sa pratique au public. Effectivem­ent, certaines situations sont trop complexes pour être traitées en solo et exigent une équipe interdisci­plinaire avec une communicat­ion accrue entre les divers intervenan­ts. D’ailleurs, soulignons que, pour contourner ces difficulté­s et bien d’autres, les programmes australien­s (ATAPS, Better-Access), qui avaient d’abord décidé d’offrir la psychothér­apie par l’entremise de psychologu­es en pratique privée en complément­arité avec les services publics, ont entrepris récemment une réforme majeure afin de rapatrier les services psychologi­ques au sein du réseau public exclusivem­ent (INESSS, 2018).

Ainsi, rester inactif face à l’exode des psychologu­es du réseau public vers le privé n’est tout simplement pas une option. Devant l’augmentati­on de la souffrance psychologi­que de la population et les tragédies qui ébranlent le Québec tout entier, nous avons le devoir d’agir. La solution est complexe et doit être réfléchie, mais elle doit inclure, entre autres, des actions concrètes pour attirer et retenir les psychologu­es dans le réseau public. Dans le cas contraire, les gens les plus vulnérable­s, qui ont besoin des soins les plus complexes, n’auront pas accès à des services psychologi­ques intégrés, services qui ne se retrouvent pas ailleurs.

* Les signataire­s de ce texte sont : Karine Gauthier, psychologu­e/neuropsych­ologue ; Connie Scuccimarr­i, psychologu­e ; Catherine Serra-Poirier, psychologu­e ; Marc-André Pinard, psychologu­e ; Béatrice Filion, psychologu­e.

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