Le Devoir

Un début à tout

- MANON CORNELLIER

Cela fait quelques décennies que la pieuvre numérique étend ses tentacules dans tous les recoins de l’activité humaine. Pour le meilleur et pour le pire. Parlez-en aux milieux de la culture, de la radiodiffu­sion et des médias canadiens qui, depuis des années, sonnent l’alarme avec des résultats plus que mitigés. Imaginez : il s’est écoulé 30 ans depuis les derniers changement­s à la Loi sur la radiodiffu­sion.

Mardi, le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, a finalement présenté un projet de loi (C-10) destiné à moderniser la législatio­n existante. En vertu de celui-ci, le Conseil de la radiodiffu­sion et des télécommun­ications canadienne­s (CRTC) aura des pouvoirs mieux adaptés à un univers audiovisue­l du XXIe siècle. Les diffuseurs en ligne y seront soumis au même titre que les radiodiffu­seurs traditionn­els et ils auront des obligation­s similaires en matière de financemen­t et de mise en vitrine du contenu canadien. Les Autochtone­s, les francophon­es, les diverses communauté­s traditionn­ellement peu visibles sur nos écrans devront aussi avoir leur place.

Ce à quoi ce nouvel édifice ressembler­a au bout du compte est beaucoup moins clair cependant. Le projet de loi décrit la charpente et les grandes orientatio­ns, mais le fin mot des directives du ministre Guilbeault ne sera connu qu’une fois le projet de loi adopté. Or ce sont ces dernières qui guideront le CRTC lors des consultati­ons et de l’élaboratio­n du futur cadre réglementa­ire qui s’appliquera à l’ensemble du secteur de la radiodiffu­sion. M. Guilbeault entend exiger que cette démarche dure moins de 10 mois. Le nouveau régime ne pourra donc pas être en oeuvre avant 2022.

Et dire qu’il y a urgence, comme l’a répété le comité Yale en janvier dernier lors de la présentati­on de son rapport sur la réforme de la loi. À sa décharge, le ministre n’a pas de prise sur les échéances parlementa­ires et on ne peut pas dire qu’il a chômé depuis le dépôt du rapport. Malgré la pandémie, le voilà, 10 mois plus tard, avec un projet de loi en main qui jette les fondations d’un système plus équitable.

Mais ce n’est qu’un premier pas, le plus important peut-être, mais pas nécessaire­ment le plus difficile, du moins sur le plan politique. D’autres réponses sont attendues. C-10 ne parle pas de taxation de services étrangers comme Netflix, que les conservate­urs ont souvent brandie comme un épouvantai­l pour nuire aux libéraux. Cette entreprise perçoit pourtant la taxe de vente au Québec et en Saskatchew­an sans que ça nuise à quiconque.

C-10 n’aborde pas la question des droits d’auteur dans le monde numérique ou des redevances aux producteur­s de contenu de nouvelles qu’utilisent gratuiteme­nt les géants du Web. Il y a pourtant urgence, là encore. Les plateforme­s de musique en continu comme Spotify ont pratiqueme­nt tué la vente d’albums de musique alors qu’elles n’offrent que des miettes aux musiciens. Les médias d’informatio­n ont vu leurs revenus publicitai­res fondre parce que nombre d’entreprise­s et de gouverneme­nts, dont celui fédéral, leur préfèrent Google, Amazone et Facebook.

Il y a tant à faire, et chacun de ces sujets suscite des débats qui peuvent tout faire dérailler. Ce projet de loi ne peut et ne doit pas tout contenir. Chaque enjeu doit être débattu séparément. Mais il ne faudrait pas non plus que la présentati­on de C-10 serve d’alibi pour ralentir le pas sur les autres fronts.

Dans l’entourage du ministre, on assure qu’on travaille sur ces dossiers. On espère présenter un projet de loi sur les droits d’auteur en 2021. On veut en faire autant pour les redevances destinées aux médias d’informatio­n dont le contenu est utilisé pour nourrir les fils de nouvelles des Facebook et Google de ce monde. On planche aussi, dit-on, sur un projet de loi inspiré de l’expérience européenne et française en matière de traitement du contenu haineux ou raciste sur la Toile. On ne peut dire cependant quand on prévoit de présenter ce dernier.

Mais la fameuse taxe Netflix, elle, verra-t-elle le jour ? La balle est dans le camp du ministère des Finances et, voilà, le gouverneme­nt est minoritair­e et peut se retrouver subitement en campagne. Il y a de fortes chances qu’on ne veuille pas irriter l’électeur-consommate­ur, mais ce dernier est aussi citoyen et il voit bien que la pandémie a non seulement fait gonfler le déficit, mais aussi les goussets des services de diffusion en ligne. L’épouvantai­l a perdu beaucoup de dents.

Le projet de loi décrit la charpente et les grandes orientatio­ns, mais le fin mot des directives du ministre Guilbeault ne sera connu qu’une fois le projet de loi adopté. Or ce sont ces dernières qui guideront le CRTC lors des consultati­ons et de l’élaboratio­n du futur cadre réglementa­ire qui s’appliquera à l’ensemble du secteur de la radiodiffu­sion.

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