La pandémie dans l’oeil du photographe Jacques Nadeau
Le photographe du Devoir fait une incursion tout en douceur dans la noirceur de l’isolement
C’était un rêve, un fragment d’idée au détour d’une première soirée de pandémie mondiale. C’est devenu « la plus grande expérience de [sa] vie ». Avec le livre COVID-19. 100 jours du grand confinement, le photographe Jacques Nadeau fait une incursion tout en douceur dans la noirceur de l’isolement pour nourrir l’espoir au bout de l’arc-en-ciel.
C’était un vendredi 13, un jour de mars qui restera gravé dans l’histoire du Québec. Le début du grand confinement. « Je me promenais en ville, on ne voyait personne, il faisait noir. Et je sentais une présence. C’est à ce moment-là qu’est venue l’idée du livre. Je voyais un scénario dans ma tête : plein de gens à photographier dans toutes les sphères de la société, de la naissance à la mort. »
Le photographe du Devoir a fait ce qu’il a toujours fait dans ces moments-là. Il a sorti son appareil photo et ne l’a pas lâché pendant quatre mois. « Je voulais montrer l’espoir. Il y a quelque chose dans les lendemains de catastrophe, quand on va voir les gens de proche, une espèce d’entraide qui ressurgit. »
Ses photos, d’une grande sensibilité, parlent d’amour et de sacrifices, de résilience, de dévouement et de créativité. Elles abordent également les sujets inévitables en temps de pandémie : la mort, les conditions difficiles dans les CHSLD, l’itinérance, la maladie, la souffrance et la solitude, mais toujours enrobées de dignité et de douceur.
Une expérience « magique »
« Ce n’était pas calculé, répond le photographe lorsqu’on lui demande comment il a réussi l’exploit de faire jaillir la douceur de la noirceur. Quand je rentrais dans un CHSLD, habillé en scaphandre, je restais dans le cadre de porte, je regardais, je jasais avec les gens. Et tranquillement, un rapprochement se faisait. Ce n’était pas facile de photographier le rapprochement en conservant une distance. »
Ça n’a pas été son seul défi. Photographier avec une visière était une épreuve en soi, raconte-t-il. « C’est comme écrire avec des grosses mitaines, ce n’est pas évident ! »
Pour les besoins de l’exercice, il s’est fait tester plus de 20 fois. Pourtant, il n’avait pas peur du virus, explique-t-il. C’était davantage pour protéger les gens qu’il photographiait. « Jamais je ne rentrais dans une maison sans avoir été testé. »
Déjà habitué de faire de la photo de presse pour un quotidien, Jacques Nadeau a travaillé différemment pour ce projet personnel. « Faire de la photo au quotidien, c’est faire des histoires différentes chaque jour, alors que faire un livre, c’est un peu comme faire un film : il y a un début et une fin. Ça prend une continuité. Dans le livre, j’essaie de promener les gens dans l’émotion et la sensibilité. Comme un grand journal d’actualités, pour montrer le positif en parallèle des nouvelles négatives qui sortent dans les médias. »
Pour cela, il fallait du temps, ce que la couverture quotidienne ne permet pas toujours, confie Jacques Nadeau. « Ça a été la plus grande expérience de ma vie, dit-il. Pendant quatre mois, j’avais l’impression d’être dans un monde un peu irréel, j’ai aimé ça. Il y avait quelque chose qui ne s’explique pas avec des mots, quelque chose de magique. Tu rentres dans une chambre [d’un CHSLD], tu ne connais pas la personne et une heure après, tu as envie de la prendre dans tes bras. Tu ne vas pas là seulement comme photographe, tu vas à la rencontre des gens et tu racontes leur histoire. »
Ce projet lui a également permis de réaliser un vieux rêve, soit de faire un livre avec son frère Michel Nadeau, expert en finance et en gouvernance, qui signe deux textes, un grand panorama sur la situation de la COVID-19 au Québec et une entrevue intimiste avec le frère d’une victime.
Le livre reproduit également l’émouvant texte du metteur en scène et militant écologiste Dominic Champagne, « La fin du monde dure 10 minutes », d’abord publié sur les réseaux sociaux, sur le départ de sa mère. On peut également lire un témoignage du politicien Steven Guilbeault sur son expérience de confinement.
Le photographe Jacques Nadeau prend également la plume pour raconter l’histoire de sa photo préférée, celle de Jacqueline Sénéchal, qui se retrouve sur la couverture du livre. « La photo de couverture de cet album est particulièrement poignante, écrit Jacques Nadeau. Jacqueline, l’une des résidentes du CHSLD Herron, semble envoyer la main à quelqu’un, le visage fermé. Que signifie son geste ? Est-ce un au revoir ? Un adieu ? Le mouvement de colère d’une personne qui se sait abandonnée et qui somme celui du bon côté de la fenêtre d’aller rejoindre ceux pour qui l’espoir existe encore ? Laissez-moi vous raconter… »