Le Devoir

Tensions politiques après la réélection controvers­ée du président ivoirien

Le gouverneme­nt a bloqué chez eux les leaders de l’opposition mardi, les accusant de « complot »

- DAVID ESNAULT ET PATRICK FORT À ABIDJAN AGENCE FRANCE-PRESSE

Le bras de fer s’est durci mardi en Côte d’Ivoire après la réélection d’Alassane Ouattara pour un troisième mandat controvers­é, le gouverneme­nt ayant bloqué chez eux des leaders de l’opposition, accusée de « complot », car voulant former un « gouverneme­nt de transition ».

M. Ouattara, 78 ans, a été réélu sur le score fleuve de 94,27 % des voix au premier tour, selon les résultats provisoire­s de la présidenti­elle de samedi proclamés par la Commission électorale indépendan­te (CEI) mardi à l’aube.

L’opposition, qui a boycotté le scrutin, juge son troisième mandat « anticonsti­tutionnel » et avait appelé ses partisans à une campagne de « désobéissa­nce civile ».

Une quarantain­e de personnes ont été tuées depuis le mois d’août dans le pays dans des violences électorale­s, ayant tourné parfois à des affronteme­nts interethni­ques, dont neuf après le scrutin.

Blocus des opposants

La situation s’est tendue mardi aprèsmidi entre le pouvoir et l’opposition.

Les forces de l’ordre ont investi la résidence à Abidjan du leader de l’opposition Henri Konan Bédié, que l’opposition a proclamé président d’un « Conseil national de transition », empêchant une conférence de presse.

L’ancien chef de l’État, 86 ans, n’a pas été inquiété, selon une source diplomatiq­ue. Mais son numéro deux, Maurice Kakou Guikahue, a été emmené par la police, selon plusieurs journalist­es présents à proximité de la résidence.

Selon des sources proches du gouverneme­nt, M. Guikahue n’a cependant pas été arrêté, mais reconduit à son domicile.

Deux autres responsabl­es de l’opposition ont indiqué à l’AFP être bloqués à leur domicile par les forces de l’ordre.

« Je suis chez moi », « [les forces de l’ordre] ont bouclé toutes les sorties de mon domicile », a déclaré Assoa Adou, secrétaire général d’une branche du Front populaire ivoirien (FPI) proche de l’ancien président Laurent Gbagbo.

« Je vais bien, mais c’est le blocus », a déclaré de son côté Abdallah Albert Mabri Toikeusse, ancien ministre qui a rejoint l’opposition avant l’élection présidenti­elle.

Quant au porte-parole de l’opposition, Pascal Affi N’Guessan, président d’une autre branche du FPI, « je ne crois pas qu’il ait été arrêté », a affirmé à l’AFP son propre porte-parole Issiaka Sangaré, faisant état également d’un « blocus devant chez lui »

Excédé par l’attitude de l’opposition, le gouverneme­nt ivoirien l’a accusé de « complot contre l’autorité de l’Etat », et indiqué avoir saisi la justice contre ses responsabl­es, n’excluant « aucune option » pour les faire plier.

La CEDEAO (Communauté des États d’Afrique de l’Ouest), l’Union africaine et les Nations unies ont appelé dans un communiqué commun à la « retenue pour préserver les vies humaines », et l’opposition à « respecter l’ordre constituti­onnel » et à « privilégie­r la voie du dialogue ».

L’Union européenne a exprimé « sa vive préoccupat­ion concernant les tensions, les provocatio­ns et les incitation­s à la haine qui ont prévalu et continuent de subsister dans le pays autour de ce scrutin ».

L’ONU s’est inquiétée mardi de l’afflux de quelque 3200 ressortiss­ants de Côte d’Ivoire dans les pays voisins (Liberia, Ghana et Togo), pour fuir les violences dix ans après la crise qui avait suivi la présidenti­elle de 2010, faisant 3000 morts.

Élu en 2010, réélu en 2015, Ouattara avait annoncé en mars qu’il renonçait à une nouvelle candidatur­e, avant de changer d’avis en août, à la suite du décès de son dauphin désigné, le premier ministre Amadou Gon Coulibaly.

La constituti­on ivoirienne prévoit un maximum de deux mandats, mais le Conseil constituti­onnel a estimé qu’avec la nouvelle Loi fondamenta­le adoptée en 2016, le compteur des mandats présidenti­els a été remis à zéro. Ce que l’opposition conteste.

La CEI a fait état d’une participat­ion de 53,9 % à l’élection présidenti­elle, chiffre contesté par l’opposition. Ce taux de participat­ion constituai­t un enjeu important du scrutin du fait du boycottage de l’opposition, seul le candidat indépendan­t Kouadio Konan Bertin ayant fait campagne contre le président sortant. Arrivé deuxième avec 1,99 % des voix, « KKB » a « félicité » M. Ouattara pour sa victoire.

La mission d’observatio­n de l’Union africaine a estimé que « l’élection s’est déroulée de manière globalemen­t satisfaisa­nte », mais le Centre Carter a lui jugé que « le contexte politique et sécuritair­e n’a pas permis d’organiser une élection compétitiv­e et crédible ».

Chez les électeurs, les avis étaient tranchés. Hamed Dioma, ferrailleu­r du quartier populaire d’Adjamé à Abidjan, se disait « très heureux » que « ADO » (Alassane Dramane Ouattara) puisse « continuer » à « bien travailler pour le pays ». Tandis qu’à Daoukro (Centre), le fief de Bédié, Firmin, un jeune sur un barrage érigé depuis samedi, qualifiait l’élection de « mascarade ».

À l’instar de beaucoup d’Ivoiriens, une coiffeuse d’Abidjan qui n’a pas voté se disait elle « fatiguée de la politique : tout ce qu’on veut, c’est que ça s’arrête ».

 ?? LEO CORREA ASSOCIATED PRESS ?? L’opposition, qui a boycotté le scrutin de samedi, juge que le troisième mandat du président Alassane Ouattara est « anticonsti­tutionnel ». Sur la photo, des opposants au gouverneme­nt ivoirien ont manifesté, mardi, dans les rues d’Abidjan.
LEO CORREA ASSOCIATED PRESS L’opposition, qui a boycotté le scrutin de samedi, juge que le troisième mandat du président Alassane Ouattara est « anticonsti­tutionnel ». Sur la photo, des opposants au gouverneme­nt ivoirien ont manifesté, mardi, dans les rues d’Abidjan.

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