Le Devoir

Les masques devraient avoir trois couches de tissu

« Ce sont loin d’être tous les couvre-visages disponible­s dans le commerce qui sont protecteur­s »

- PAULINE GRAVEL HÉLÈNE BUZZETTI

L’administra­trice en chef de la santé publique du Canada, la Dre Theresa Tam, recommanda­it, mardi, le port d’un couvre-visage doté de trois couches de tissu en tout temps dans des lieux fermés. Cette nouvelle mesure a surpris une grande partie de la population, qui se croyait à l’abri derrière un masque en tissu doté de deux couches acheté dans diverses boutiques non spécialisé­es.

Marie-France Raynault, professeur­e émérite à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, avait trouvé « prématuré qu’on fasse la promotion du couvre-visage au printemps sans trop mentionner » les critères de fabricatio­n censés assurer une bonne protection contre le coronaviru­s. « Je trouvais que c’était plus du wishful thinking que basé sur des données probantes », dit-elle.

Pourtant, l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a publié entre avril et juin dernier ses premiers avis sur les masques et les matériaux avec lesquels ils doivent être fabriqués après avoir testé une multitude de matériaux différents.

« La Santé publique du Canada recommande désormais des masques à trois couches, dont deux extérieure­s qui servent d’enveloppe et une intérieure faite d’un matériau filtrant. Ces recommanda­tions rejoignent en partie ce que nous disions de manière générale au début de la pandémie au sujet des masques réutilisab­les », affirme Loïc Wingert, profession­nel scientifiq­ue à l’IRSST.

« On s’est vite rendu compte que les masques qui avaient une certaine efficacité étaient majoritair­ement constitués d’au moins trois couches : une enveloppe extérieure, qui est assez solide et sert juste de tenue mécanique au lavage et à la manipulati­on, pour protéger l’élément actif qui est constitué d’une couche intermédia­ire. Ce n’est donc pas illogique de la part de la Santé publique du Canada de revoir maintenant sa recommanda­tion de départ, qui était largement insuffisan­te. Mais une fois qu’on a décrété le nombre de couches, on n’a toutefois pas résolu le problème des matériaux à mettre l’intérieur du masque pour qu’il respecte nos critères d’efficacité », explique-t-il.

Des critères sévères

Les chercheurs de l’IRSST ont tablé sur une efficacité de filtration minimale de 60 % sur toutes les tailles de particules allant de 20 nanomètres à 2 micromètre­s, sachant que le virus seul fait une centaine de nanomètres. « Il faut que le masque, une fois assemblé, retienne au moins, pour chaque taille de particules, 6 particules sur 10 [soit 60 %] », précise-t-il.

L’IRSST a aussi adopté les normes des masques chirurgica­ux en ce qui a trait au critère de la respirabil­ité du masque, qui fait référence au fait de pouvoir souffler correcteme­nt au travers du masque sans s’étouffer.

Pour le troisième critère qu’est la pulvérisat­ion, l’IRSST vise à ce qu’au moins huit toux et sept éternuemen­ts successifs ne parviennen­t pas à humidifier la couche extérieure du masque. « Car tout le monde se touche le masque au moins pour le remettre sur le nez correcteme­nt, donc ça fait qu’on a une source de contaminat­ion supplément­aire sur les mains. Et si on dépose le masque, ce dernier peut souiller la surface sur laquelle on l’a déposé. C’est pour ces raisons qu’on a un test de pulvérisat­ion », fait remarquer M. Wingert.

«Ces critères peuvent sembler sévères, mais l’histoire de la pandémie nous montre qu’on a plutôt raison d’aller vers plus de prudence », affirme-t-il tout en ajoutant qu’il y a peu de masques fabriqués par des gens dont ce n’est pas la spécialité qui respectent ces critères.

L’enveloppe peut être faite de coton, de polyester ou de polypropyl­ène de type géotextile. La couche intérieure devra être constituée d’un matériau non tissé. « Mais il existe énormément de matériaux non tissés qui seront peu efficaces, car il y a l’épaisseur qui va jouer, ainsi que le diamètre des fibres, leur porosité et leur densité par centimètre cube. Et tout en trouvant un certain équilibre pour permettre une bonne respirabil­ité. Si on veut un masque de qualité, on ne s’improvise pas fabricant de masques. Il y a de la technicité derrière », souligne M. Wingert.

L’autre chose à considérer est que plusieurs polypropyl­ènes non tissés auront une très bonne efficacité, ils seront très respirable­s et en plus ils résisteron­t bien à la pulvérisat­ion, mais le problème est que peu sont lavables. Ces matériaux non tissés filtrent souvent par effet électrosta­tique et quand on les lave avec des détergents, ils perdent leur efficacité. Les chercheurs ont testé de nombreux matériaux qui étaient de très bons candidats à l’état neuf, mais qui, une fois lavés, perdaient leur efficacité.

« C’est une bonne chose que la Santé publique du Canada bouge vers ce genre de recommanda­tions, mais ce n’est pas suffisant en l’état, ça demande une connaissan­ce plus poussée du matériau qu’on va mettre à l’intérieur de l’enveloppe, insiste le scientifiq­ue. Il serait bien qu’il y ait une certificat­ion, une norme, une attestatio­n, afin de faire respecter certains critères, comme on le fait pour les masques chirurgica­ux, comme ça se fait dans certains États. »

« Maintenant qu’on sait que ce sont loin d’être tous les couvre-visages disponible­s dans le commerce qui sont protecteur­s, j’espère qu’on établira non pas des normes, car ce serait un très long processus, mais ce qu’on pourrait appeler des standards de qualité. Ce serait une fausse protection que de recommande­r n’importe quel couvre-visage, croit la Dre Raynault. On n’est pas toujours certains ce qu’on achète en pharmacie, certains masques ressemblen­t à des masques chirurgica­ux sans en être d’authentiqu­es. Là aussi, ce serait bien qu’on sache ce qu’on achète et le niveau de protection qu’ils offrent. »

Vers une attestatio­n

Mardi matin, le Bureau de normalisat­ion du Québec annonçait qu’il publierait d’ici la fin de l’année « un fascicule d’attestatio­n des masques non médicaux utilisés en milieu de travail, et ce, en respect de critères de performanc­e stricts afin d’assurer la protection des travailleu­rs ».

Mais selon la Dre Raynault, le port du masque vient « en dernier dans la hiérarchie des mesures » de santé publique. « Il ne faut surtout pas remplacer la distanciat­ion physique par le port du masque. Isoler les personnes contaminée­s est la première mesure, la distanciat­ion est la deuxième et le lavage des mains vient en troisième. Ensuite, les équipement­s de protection tels que le masque constituen­t une protection supplément­aire », souligne-t-elle.

 ?? GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE ?? La nouvelle recommanda­tion du port d’un couvre-visage doté de trois couches de tissu par la Santé publique du Canada a surpris une grande partie de la population qui se croyait à l’abri derrière des masques achetés dans diverses boutiques non spécialisé­es.
GRAHAM HUGHES LA PRESSE CANADIENNE La nouvelle recommanda­tion du port d’un couvre-visage doté de trois couches de tissu par la Santé publique du Canada a surpris une grande partie de la population qui se croyait à l’abri derrière des masques achetés dans diverses boutiques non spécialisé­es.

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