Trump, le symptôme d’un mal durable
Les élites ont du mal à comprendre comment le populisme résonne chez le citoyen moyen
Ce n’était donc pas une anomalie, une erreur de parcours ou encore un simple ballon d’essai. Quatre ans plus tard, près de la moitié des électeurs américains ont souhaité reconduire Donald Trump à la Maison-Blanche. Cette fois, en toute connaissance de cause.
On sait qu’il ment, qu’il intimide, qu’il triche, qu’il tient des propos misogynes et racistes, qu’il incite à la violence et qu’il nourrit des fossés abyssaux dans une société déjà surpolarisée. On sait que les États-Unis sont le pays qui subit l’un des pires
contrecoups de la pandémie et que son influence sur la scène internationale ne cesse de décroître. Pourquoi donc quelque 67 millions d’Américains souhaitent-ils lui donner une nouvelle fois les rênes du pays le plus puissant du monde ?
Poser la question, c’est certainement y répondre un peu. Car la réponse se trouve, du moins en partie, dans cette incompréhension et cette déconnexion des élites — dont font partie les médias — des préoccupations et des réalités du citoyen moyen.
« Les gens qui sont allés à l’université, les journalistes, les sondeurs ne voient pas et ne comprennent pas cet enthousiasme qui existe pour Trump parce qu’ils ne sont tout simplement pas là où cet enthousiasme se manifeste », fait valoir John C. Fortier, directeur des études gouvernementales au Bipartisan Policy Centre à Washington. « Les partisans de Trump ne sont pas représentés dans les cercles de gens qui écrivent sur ce genre de phénomènes. »
Et avec cette méconnaissance vient aussi un mépris, un regard porté de haut par les élites qui empêche d’autant plus à comprendre. « Il y a vraiment une déconnexion entre les élites et les Américains », pointe Élisabeth Vallet, professeure en études internationales au Collège militaire royal de Saint-Jean et directrice de l’Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand.
Selon la chercheuse, Trump n’est pas la pathologie, mais plutôt le symptôme d’un courant qui était présent bien avant son arrivée au pouvoir il y a quatre ans. « Le discours de Sarah Palin [colistière et candidate à la vice-présidence dans le ticket républicain de John McCain en 2008] était trumpiste avant Trump », rappelle-telle, soulignant notamment ses envolées contre les médias. « Le trumpisme est là pour de bon. Plus qu’on le pensait. »
Érosion de la démocratie
Les États-Unis ne sont d’ailleurs pas une exception en Occident. « Il y a une tendance à l’érosion de la démocratie sous l’empire du populisme », estime Élisabeth Vallet. Un rejet de la classe politique traditionnellement au pouvoir, accompagné d’un discrédit des idées véhiculées par les médias pour se coller à un vécu, à une réalité qui échappe à leurs grilles d’analyse respectives. Un discours qui étend d’ailleurs ses tentacules jusqu’au Canada. « Quoiqu’il advienne [avec le résultat de l’élection présidentielle], il y aura des répercussions sur notre vie politique. Il y a une normalisation d’un certain discours et de certains comportements », croit la chercheuse.
On parle souvent de cette base électorale blanche évangélique fidèle à Trump. Il y a aussi cette dichotomie entre le vote urbain et le vote rural qui se cristallise de plus en plus. Mais aussi ces mots et ce ton que Trump a su trouver pour rejoindre la classe ouvrière, rappelle John C. Fortier. C’était vrai en 2016, et ce l’est encore en 2020. « Il donne l’impression de vraiment vouloir défendre leurs intérêts. » Trump a redonné une voix, une fierté à ceux qu’on n’entendait plus.
Sans oublier que le président a su parler le langage de l’argent dans les dernières semaines, souligne Valérie Beaudoin, chercheuse associée à l’Observatoire sur les États-Unis de la
Chaire Raoul-Dandurand. « La question du portefeuille a beaucoup pesé dans la balance [cette année], cette crainte de devoir payer plus d’impôts avec Biden. Beaucoup de gens sondés sur le terrain on dit : on ferme un peu les yeux sur certaines politiques controversées du président Trump, l’économie allait bien avant la pandémie et on veut lui faire confiance pour quatre autres années. »
Des préoccupations très ancrées dans le quotidien, dans l’histoire personnelle de chaque électeur, plutôt que dans une vision plus abstraite d’un idéal politique. Travailler, améliorer sa situation économique, vivre dans un environnement sécuritaire. Sans oublier les médias sociaux, les fausses nouvelles, les envolées d’un personnage hors norme venant, ici encore, cristalliser des idées souvent polarisantes, qui ont fait leur chemin un peu partout dans la société. La peur de voir les banlieues s’embraser sous le feu des émeutiers, la crainte de voir le pays sombrer dans le socialisme avec Joe Biden et cette résistance qui doit être absolument opposée au complot des élites sanitaires visant à contrôler la population.
Aujourd’hui encore, c’est cette même rhétorique, ce même discours qui s’abreuve aux raccourcis et aux informations erronées, mais si percutantes, que Trump continue à servir à ses millions de partisans, dont la soif à combattre les élites, les institutions qui les gouvernent et les informent, mais dont ils se sentent exclus, s’amplifie. « Ce qui est problématique, c’est que Trump envoie ce message à certains partisans qui peuvent avoir une propension à la violence, avertit Tammy R. Vigil, professeure de communications à l’Université de Boston. Mais surtout, en remettant en question la légitimité du résultat, il prépare le terrain pour que ses partisans, s’il perd, se sentent plus en colère, et qu’ils auront l’impression de s’être fait voler l’élection. »
Mais que Trump gagne ou qu’il perde, qu’il y ait des débordements ou pas, ce courant populiste est bien enraciné, et il faudra bien essayer de le comprendre pour réussir à faire rétrécir les tranchées opposant — aujourd’hui plus que jamais — deux camps formant un même pays.