Le Devoir

Oscar Peterson à la place des Festivals, une fausse bonne idée

Si la propositio­n va de l’avant, il faudra nécessaire­ment débaptiser le parc Oscar-Peterson

- Bernard Vallée nymie de Montréal de 1987 à 1995, membre du Conseil du patrimoine de Montréal de 2012 à 2018

Le 19 octobre dernier, l’opposition officielle à l’Hôtel de Ville de Montréal a déposé au conseil municipal une motion demandant que la place des Festivals, dans le Quartier des spectacles, prenne le nom de place Oscar-Peterson ; le conseil devrait en disposer en novembre. Comment pourrait-on s’y opposer ? C’est pourtant une fausse bonne idée.

Ce qui me dérange en premier lieu dans cette propositio­n de dénominati­on, c’est l’obsession qu’elle exprime pour la primauté commémorat­ive des lieux centraux de la ville, seuls jugés dignes de recevoir les noms de personnage­s importants. C’est extrêmemen­t humiliant pour les secteurs plus décentrés et leurs résidentes et résidents, qui ne mériteraie­nt pas d’avoir, eux aussi, des lieux à dénominati­ons d’importance nationale et même internatio­nale comme c’est le cas pour notre Oscar, pianiste et compositeu­r montréalai­s de renommée mondiale.

C’est d’autant plus absurde que, si on accepte l’idée d’Ensemble Montréal, il faudra nécessaire­ment débaptiser le parc Oscar-Peterson de la Petite-Bourgogne (depuis 2009), pourtant au coeur du milieu qui l’a vu naître comme homme et comme musicien. Avant d’être commémorat­ive, la toponymie est d’abord un outil d’orientatio­n : il ne peut y avoir deux espaces publics du même nom dans la même ville, même si l’un est une place et l’autre un parc. Imaginez la confusion dramatique qui pourrait envoyer une ambulance à la « place » alors qu’une victime d’infarctus est au « parc »…

Ce serait aussi insultant, pour celles et ceux qui voient en Oscar Peterson un modèle d’accompliss­ement artistique et d’humanisme, de constater que le plus grand parc du quartier qui fut le berceau d’une des plus anciennes communauté­s d’Afro-descendant­s, les familles des porteurs de bagages du transport ferroviair­e, et le creuset d’où est sortie une des plus fécondes expression­s du jazz, n’est pas assez prestigieu­x pour lui. D’ailleurs, même si le parc Oscar-Peterson de la Petite-Bourgogne est un parc de quartier, il a une taille et des aménagemen­ts paysagers, ludiques et sportifs remarquabl­es. Oscar Peterson y est bien traité, je vous l’assure, et son immense portrait en murale veille sur ce bel espace.

Le fait que la famille Peterson serait d’accord avec la propositio­n d’Ensemble Montréal n’est pas un argument qui me la rend plus incontourn­able : si on écoutait les proches des « commémorab­les », on devrait changer régulièrem­ent les noms d’une grande partie des lieux les plus emblématiq­ues de la ville ! Si Montréal s’est dotée d’un Comité de toponymie, avec la meilleure expertise externe dans le domaine, c’est pour se dégager des jeux politiques, c’est pour avoir une vue d’ensemble du territoire, des lieux à nommer et des dénominati­ons possibles, c’est pour tenter de donner de la cohérence aux dénominati­ons et éviter doublons et sources de confusion, et c’est pour planifier pour l’avenir.

Ayant travaillé à plusieurs reprises à l’enrichisse­ment de la banque prévisionn­elle de noms, ce fichier où Montréal collige des dénominati­ons (noms de personnes et autres) qui mériteraie­nt d’être attribuées à des lieux de la ville, je peux vous affirmer qu’il y en a des centaines, dont un bon nombre sont de l’envergure de notre grand Oscar, qui a déjà un beau parc et une salle de spectacle à son nom. Dans un territoire presque totalement urbanisé et où le nombre de lieux et de voies à dénommer s’amenuise considérab­lement, évitons la redondance et laissons de la place à nos futurs grands amours.

Enfin, je suis de moins en moins convaincu qu’on doive nécessaire­ment utiliser des noms d’individus, même très méritants, pour désigner les voies et les espaces publics : puisque la toponymie marque le territoire pour des décennies et même des siècles, j’estime qu’on devrait plutôt rechercher des dénominati­ons qui s’inspirent, par exemple, de l’histoire des lieux ou de la réalité de leurs usages. La « place des Festivals » est une dénominati­on de ce genre et j’aimerais qu’on la garde.

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