Le Devoir

L’effet du sophisme de Trudeau

- Jean-Sébastien Bélanger Enseignant, cégep de Sorel-Tracy

Sophisme : Argument, raisonneme­nt faux malgré une apparence de vérité et destiné à tromper un interlocut­eur.

Parmi les sophismes que je présente à mes étudiants dans le premier cours de philosophi­e au cégep se trouve le sophisme de la fausse analogie. L’idée toute simple derrière ce raisonneme­nt frauduleux consiste à faire accepter un argument en raison de l’apparente similitude qui existe entre le sujet en question et un autre. On comprend cependant qu’il s’agit d’un raisonneme­nt trompeur lorsque l’on examine attentivem­ent les situations supposémen­t similaires et que l’on prend acte du fait qu’il s’agit, en réalité, de choses fort différente­s.

Justin Trudeau nous a offert un tel sophisme au cours des derniers jours lorsqu’il a été questionné à propos des événements tragiques qui se sont déroulés en France à la suite de la décapitati­on de cet enseignant qui avait ouvert un débat autour des caricature­s de Mahomet en classe.

Ainsi avons-nous pu entendre la fausse analogie suivante lorsque Justin Trudeau a affirmé que « la liberté d’expression n’est pas sans limites. » Qu’« on n’a pas le droit, par exemple, de crier au feu dans un cinéma bondé de monde. »

Arrêtons-nous un instant ici et voyons si le discours de notre politicien lui permettrai­t d’obtenir une note de passage dans son cours de philo 101.

S’il est vrai que la liberté d’expression n’est pas sans limites, le fait de désigner certaines réalités dans un cadre pédagogiqu­e et de les nommer est-il véritablem­ent semblable au fait de crier au feu dans un cinéma ? S’il y a un risque réel de provoquer une émeute qui nuirait à l’intégrité physique de certaines personnes dans le cas du cinéma, le risque de heurter les sensibilit­és idéologiqu­es de certains groupes est une situation qui nous entraîne sur un tout autre registre. On ne peut pas traiter des sensibilit­és idéologiqu­es comme des menaces à l’intégrité physique. Avec un tel argument, Trudeau se verrait recevoir une mention d’échec.

Ma classe n’est pas ucinéma mais un lieu de savoir. Les principes qui fondent ma pratique enseesgnan­te sont ceux de la société civile, une société laïque, une société libre ou la liberté d’expression va de pair avec la liberté de penser.

À titre d’enseignant en philosophi­e, je suis extrêmemen­t préoccupé par le message de mollesse et de lâcheté qui est véhiculé par notre premier ministre.

Depuis bon nombre d’années, j’ai mis en lumière dans mes cours les incohérenc­es et les travers de certaines religions, les frasques de Mike Ward qui lui ont valu la poursuite judiciaire dans laquelle il est toujours plongé, les envolées lyriques de Fred Dubé qui ont provoqué son congédieme­nt, des chansons comme celle de Claude Dubois qui avait fait l’objet d’une plainte au CRTC pour des propos jugés homophobes. Les sujets dont je traite sont somme toute banals pour un cours d’éthique. Étrangemen­t, ils apparaisse­nt, dans le contexte politique et social dans lequel nous sommes plongés, comme de véritables frondes sociales périlleuse­s.

La philosophi­e est tenirnger. L’espace de réflexion nécessaire à l’exercice de la pensée rétrécit sous l’effet de politiques comme celles qui nous sont transmises par notre plus haut représenta­nt politique.

Parfois, se tenir debout consiste à faire fi des calculs politiques et des tactiques électorali­stes pour défendre des principes sur lesquels nous nous sommes appuyés pour construire ce pays.

La discussion, le débat, les écoles comme lieux de savoir sont en péril. Quelqu’un aurait-il l’obligeance de se lever debout et de le dire ?

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