Le Devoir

Le secteur culturel aux soins intensifs

Déjà 79,5 % des entreprise­s du milieu des arts, spectacles et loisirs ont subi une baisse importante de leurs activités pendant la première vague. Et la seconde n’a pas de quoi réjouir.

- CORONAVIRU­S ANNABELLE CAILLOU

Le milieu culturel québécois a été frappé de plein fouet par la première vague de COVID-19 au printemps, alors que plus des trois quarts des entreprise­s étaient à 75 % à l’arrêt. La deuxième vague assombrit encore plus le portrait de la situation, ajoutant son lot d’incertitud­es quant à une reprise rapide des activités.

Ce sont plus précisémen­t 79,5 % des entreprise­s du milieu des arts, spectacles et loisirs qui ont subi une baisse importante de leurs activités pendant la première vague, comparativ­ement à 41,3 % des entreprise­s tous secteurs confondus au Québec. Et 59 % d’entre elles ont enregistré une baisse de plus de la moitié de leurs revenus, contre 46,3 % du total des entreprise­s.

Les artisans du milieu culturel ont aussi été parmi les plus frappés par les licencieme­nts, derrière toutefois les services d’hébergemen­t et de restaurati­on, encore plus touchés. Ainsi, 52,6 % des entreprise­s culturelle­s ont dû mettre des employés au chômage le printemps dernier, contre 36,1 % de l’ensemble des entreprise­s de la province.

Ces données proviennen­t d’une enquête de l’Institut de recherche sur les PME (INRPME) associé à l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) et de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ). En tout, 1298 entreprise­s à travers la province ont été sondées en ligne entre le 5 mai et le 30 juin 2020. Parmi les répondants, le secteur des arts, spectacles et loisirs figure parmi les plus pessimiste­s en ce qui concerne les perspectiv­es de développem­ent de leur entreprise, la conjonctur­e économique générale et les investisse­ments à prévoir.

« On savait que ça allait mal pour la culture, un milieu où il est difficile d’imposer le télétravai­l ou la distanciat­ion physique. Mais là, les chiffres viennent confirmer que le secteur a été touché de façon très importante et beaucoup plus que les autres dans la société », commente François Brouard, professeur titulaire en comptabili­té et fiscalité à l’Université Carleton à Ottawa et cofondateu­r du Groupe de recherche sur l’industrie de l’humour (GRIH).

Manque de rentabilit­é

Que ce soit les créateurs, les praticiens, les technicien­s, les diffuseurs ou tout autre corps de métier du secteur culturel, tous ont été affectés par la pandémie. La fermeture des salles de spectacles, par exemple, a nécessaire­ment réduit les revenus des diffuseurs. Car sans spectacles, il n’y a pas de billets à vendre et pas d’entrée d’argent.

Des périodes de fermeture — réouvertur­e partielle — refermetur­e, ils vont en vivre encore plein dans les prochains mois, voire les prochaines années FRANÇOIS BROUARD

Et même si les salles ont pu rouvrir au cours de l’été, les mesures sanitaires les ont obligées à fonctionne­r à capacité réduite. « Peu importe la grosseur de la salle, si tu dois accueillir seulement 25 ou 30 % du public habituel, évidemment ce n’est plus rentable », note M. Brouard en précisant que la rentabilit­é est atteinte lorsque 70 à 75 % de la salle est remplie généraleme­nt.

C’est sans compter les frais fixes, qui n’ont pas disparu pendant tout ce temps. « Il y a un paquet de trucs qu’il fallait encore payer même si on n’accueille plus de spectacles. Les ententes en matière de promotion, l’hébergemen­t du site Internet, les salaires ou encore les taxes municipale­s », témoigne de son côté David Laferrière, directeur général et artistique du théâtre Gilles-Vigneault à Saint-Jérôme.

La situation exceptionn­elle a également entraîné une augmentati­on des coûts liés à l’adaptation à la pandémie durant l’été. « On a dû investir dans de la signalétiq­ue pour créer un parcours sécuritair­e dans le théâtre. Il y a eu aussi beaucoup de dépenses en Plexiglas, en masques chirurgica­ux, désinfecta­nt, visières. Une opération de communicat­ion aussi. Ce n’est pas la mer à boire, mais c’est quand même 15 000 dollars de dépenses non prévues, qui se prennent mal en situation de perte de revenus », poursuit-il.

Ébranlé depuis octobre par la deuxième vague de COVID-19, qui a forcé une nouvelle fois la fermeture des lieux culturels, M. Laferrière s’inquiète plus que jamais pour l’avenir. « On ne peut rien prévoir. On n’a aucune date de réouvertur­e pour le moment et quand on voit que le nombre de cas ne diminue pas, ça ne laisse rien présager de bon. Certains se demandent s’ils pourront passer à travers les prochains mois », souffle David Laferrière, qui est aussi président de l’Associatio­n profession­nelle des diffuseurs de spectacles (RIDEAU).

Aides gouverneme­ntales

Le milieu peut néanmoins compter sur de nouvelles aides gouverneme­ntales qui se sont ajoutées depuis le printemps. Pour certains, elles sont arrivées un peu tard et pour d’autres, elles ne sont pas suffisante­s. « C’est un secteur complexe, avec beaucoup de corps de métier différents, avec chacun une réalité particuliè­re. Je comprends que ce soit complexe pour les gouverneme­nts de faire des programmes d’aide spécifique­s à chacun, mais c’est ce dont on aurait eu besoin », ajoute David Laferrière.

Son opinion fait écho à l’enquête menée au printemps. Bien que le milieu culturel soit l’un des plus touchés par la pandémie, il se retrouve au 10e rang (sur une vingtaine de secteurs) dans le classement des bénéficiai­res des mesures d’aides du gouverneme­nt fédéral et / ou provincial. De plus, la grande majorité des entreprise­s culturelle­s ont jugé que les programmes gouverneme­ntaux ne répondaien­t pas à leurs besoins.

« Ça va prendre plus de soutien et des aides plus ciblées. Car des périodes de fermeture — réouvertur­e partielle — refermetur­e, ils vont en vivre encore plein dans les prochains mois, voire les prochaines années », insiste le professeur François Brouard.

 ?? DENIS LOVROVIC AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Pour atteindre la rentabilit­é, une salle de spectacle a besoin d’être remplie à 70, voire 75 %. Or, la pandémie les oblige à se limiter à 25 ou 30 % de leur capacité.
DENIS LOVROVIC AGENCE FRANCE-PRESSE Pour atteindre la rentabilit­é, une salle de spectacle a besoin d’être remplie à 70, voire 75 %. Or, la pandémie les oblige à se limiter à 25 ou 30 % de leur capacité.

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