Le Devoir

Des défaillanc­es dans le suivi de l’assaillant de Vienne

- ATTENTAT DE VIENNE DAPHNE ROUSSEAU DENISE HRUBY ANNE BEADE À VIENNE AGENCE FRANCE-PRESSE

Le profil de l’auteur de l’attentat de Vienne se précisait mercredi : un jeune homme de 20 ans, « perdu », né à Vienne de parents originaire­s de la Macédoine du Nord, déjà dans le viseur de la justice autrichien­ne pour avoir tenté de rejoindre la Syrie.

Le ministre autrichien de l’Intérieur, Karl Nehammer, a esquissé devant la presse le portrait de Kujtim Fejzulai, déplorant qu’il ait réussi à « tromper » le programme de « déradicali­sation » et ceux qui étaient chargés de son suivi.

L’attaque, qui a fait quatre morts lundi dans le centre de Vienne, a été revendiqué­e par le groupe État islamique (groupe EI), qui évoque un de ses « soldats du Califat ». Le jeune homme avait apparemmen­t commencé à fomenter son projet dès l’été.

Il avait tenté de se procurer des munitions en Slovaquie. Les services secrets de ce pays voisin de l’Autriche avaient alors alerté leurs homologues à Vienne, a expliqué mercredi le ministre Nehammer.

« Il y a manifestem­ent eu par la suite un problème au niveau de la communicat­ion », a-t-il déploré, visiblemen­t ébranlé. Et d’accuser son prédécesse­ur d’extrême droite, Herbert Kickl, « d’avoir causé des dommages durables, pour ne pas dire détruit » le BVT (Bureau pour la protection de la Constituti­on et la lutte contre le terrorisme).

L’assaillant, abattu par la police, avait été condamné en avril 2019 à 22 mois de prison pour avoir voulu rallier les rangs du groupe EI, mais il avait été libéré de manière anticipée. « Je voulais quitter la maison, je savais que [là-bas] une meilleure vie m’attendait, mon propre appartemen­t, mon propre argent », disait-il, selon des propos rapportés par la presse locale, pendant que les conflits avec sa mère, notamment sur des questions financière­s, se multipliai­ent.

Ce « terrible drame aurait pu avoir lieu même si l’attaquant avait purgé la totalité de sa peine, jusqu’en juillet 2020 », a soutenu l’associatio­n DERAD chargée du programme de déradicali­sation. L’agresseur « n’a à aucun moment été présenté comme déradicali­sé », a-t-elle souligné dans un communiqué, tout en disant ne pas posséder les moyens de surveillan­ce dont est équipé le renseignem­ent autrichien.

Un jeune homme perdu

Pour son avocat, le jeune homme paraissait surtout traverser une crise identitair­e. « Je le décrirais comme une âme perdue, qui cherchait sa place » dans la société, confie à l’AFP Nikolaus Rast. « Il me donnait l’impression d’être plutôt calme et introverti. »

« Personne ne l’aurait cru capable d’un tel acte, n’aurait pu avoir ce genre de soupçons, et si on en avait eu, on serait intervenus bien plus tôt », ajoute-t-il.

L’avocat décrit aussi la mère de l’assaillant, « désespérée » par les accusation­s qui pesaient sur son fils à l’époque. « Je ne sais pas ce que j’ai fait de mal, je ne l’ai pas élevé de cette manière », disait-elle.

Il raconte également, dans les colonnes du journal Der Standard, qu’il avait « commencé à fréquenter une mosquée en 2016, où il est tombé sur un mauvais imam ».

Sur des photos publiées sur les réseaux sociaux, on le voit arborer une barbe noire fournie, posant avec la Kalashniko­v et la machette dont il allait se servir pour terroriser Vienne. En légende, des messages d’allégeance au groupe EI.

Né à Moedling, au sud de la capitale, Kujtim Fejzulai a grandi en Autriche. Les autorités avaient tenté de le déposséder de sa nationalit­é. En vain, « faute de preuves sur la nature de ses activités ».

Kujtim Fejzulai vivait dans un logement social d’un quartier populaire de Vienne. Ses voisins, rencontrés par l’AFP, l’apercevaie­nt en coup de vent et évoquent les problèmes structurel­s de ce quartier pauvre : la drogue, la prostituti­on, entre autres.

« Il était tout à fait banal », affirme Goldana Nikolic, sans signe particulie­r ou vestimenta­ire qui aurait témoigné d’une pratique rigoriste de l’islam, et l’aidait à « porter les sacs de courses ».

Interrogat­ions

Dans son logement, fouillé par la police, des munitions ont été découverte­s ainsi que des livres relayant la propagande de l’organisati­on État islamique. Les enquêteurs, qui ont saisi « une grande quantité de matériel » au cours de perquisiti­ons, cherchent par ailleurs à déterminer d’éventuelle­s complicité­s.

Ils interrogea­ient toujours mercredi 14 personnes, « âgées entre 18 à 28 ans, issues de l’immigratio­n et certaines n’étant pas des citoyens autrichien­s », selon le ministre. D’après la police, « il est possible qu’elles aient apporté un soutien » à l’assaillant, mais leur rôle exact reste encore flou.

Sur les lieux de l’attaque, quelques fleurs et bougies, toujours les cercles de craie sur le sol tracés par les enquêteurs, mais la vie avait repris son cours mercredi.

Les habitants avaient été priés la veille de rester chez eux par crainte qu’un second assaillant ne soit caché dans la capitale, mais les autorités ont désormais écarté cette menace. L’analyse des vidéos, transmises à la police par les nombreux témoins de l’attentat, « a conforté la théorie d’un auteur unique », a souligné le ministre de l’Intérieur.

Les policiers restaient toutefois en alerte dans une nation qui a subitement découvert qu’elle pouvait elle aussi être touchée par de graves attentats islamistes.

Dans une entrevue à la presse allemande, le chancelier, Sebastian Kurz, a appelé l’Union européenne à mieux lutter contre l’« islam politique », une « idéologie » qui représente un « danger » pour le « modèle de vie européen ».

Dans cette optique, il a dit réfléchir à des « initiative­s communes » avec le président français, Emmanuel Macron, attendu lundi à Vienne pour une « courte visite ».

Pour son avocat, le jeune homme paraissait surtout traverser une crise identitair­e. « Je le décrirais comme une âme perdue, qui cherchait sa place » dans la société, a-t-il confié.

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MATTHIAS SCHRADER ASSOCIATED PRESS Un membre des forces de l’ordre surveille le site de l’attaque, au centre-ville de Vienne, où des chandelles et des fleurs ont été déposées en mémoire des victimes.

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