Le protocole de triage a été revu
Le vocabulaire pour désigner ceux qui n’auront pas accès au respirateur artificiel en cas de pénurie a été corrigé
Les organismes qui défendent les gens ayant un handicap ont été entendus. Le Devoir a appris que le gouvernement québécois a modifié son protocole déterminant quels patients auront droit à un respirateur artificiel s’il manque d’appareils lors de la deuxième vague de COVID-19. Les critères jugés discriminatoires par les regroupements ont été révisés.
Québec a apporté diverses modifications à son protocole de triage, maintenant intitulé « Priorisation pour l’accès aux soins intensifs (adultes) en contexte extrême de pandémie ». Une victoire pour la Société québécoise de la déficience intellectuelle, qui avait lancé au mois de mai une campagne en ligne pour dénoncer les critères d’exclusion édictés dans le document.
Dans la première version du protocole, dont Le Devoir avait obtenu copie en avril, les personnes atteintes d’une « maladie neuromusculaire avancée et irréversible (par exemple, la maladie de Parkinson, la sclérose latérale amyotrophique) » n’avaient pas droit à un respirateur artificiel en cas de scénario catastrophe dans les hôpitaux.
Le nouveau protocole ne vise plus directement les gens atteints de la maladie de Parkinson et de la sclérose latérale amyotrophique. Il fait plutôt référence aux patients souffrant d’une « maladie neurodégénérative sévère et irréversible ».
« Ça ne donnait absolument rien de nommer la maladie, dit l’éthicienne Marie-Ève Bouthillier, présidente du comité d’experts chargé de la rédaction du protocole et de sa mise à jour. Quand on vient d’avoir un diagnostic de maladie de Parkinson, versus on est en phase terminale, ce sont deux conditions cliniques bien différentes. Ce n’est pas juste le fait d’avoir le Parkinson qui nous donne un mauvais pronostic [aux soins intensifs], mais c’est plutôt la gravité de la maladie. »
Autre changement : le critère d’exclusion libellé « déficience cognitive sévère due à une maladie progressive » a été reformulé. « L’inquiétude des associations, c’est que ça pouvait être interprété comme de la déficience intellectuelle, alors que ce n’était pas du tout le cas, dit Marie-Ève Bouthillier. Dans notre tête,
on voulait parler de démence. On l’a vraiment précisé avec des termes plus justes sur le plan médical. » Il est désormais écrit dans le document « trouble neurocognitif majeur dégénératif (démence) ».
Des modifications saluées
Pour la Société québécoise de la déficience intellectuelle, c’est mission accomplie. « Dans le nouveau protocole, c’est écrit à plusieurs endroits que les choix de priorisation ne doivent en aucun cas être basés sur des motifs discriminatoires, dont le handicap, dit sa directrice générale Anik Larose. C’est un ajout. On est vraiment contents. »
La Fédération québécoise de l’autisme se dit aussi « très satisfaite » des changements. « Ça correspond vraiment à nos attentes, à nos demandes de retirer certains aspects qui étaient, pour nous, discriminatoires ou qui faisaient en sorte [qu’on mettait] dans une case à part les personnes en situation de handicap, ce qui nous apparaissait inadmissible », dit son directeur général Luc Chulak.
Au printemps, la députée libérale de Westmount–Saint-Louis, Jennifer Maccarone, s’était dite scandalisée » par le protocole de triage pour l’accès aux soins intensifs. La mère de deux enfants atteints d’autisme avait interpellé à ce sujet la ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, Danielle McCann, à l’Assemblée nationale. « Je suis agréablement surprise et contente des avancées que le gouvernement a faites, à la suite de la réaction que nous avons eue comme opposition officielle », dit-elle.
Québec promet de rendre public le protocole, dont la première version était confidentielle. Le document a déjà été présenté aux partis de l’opposition la semaine dernière. Les organismes de défense des droits des patients ont pu en prendre connaissance et le commenter le 2 octobre, lors d’une
Ça ne donnait absolument rien de nommer »
la maladie MARIE-ÈVE BOUTHILLIER
«consultation organisée par le comité chargé de sa mise à jour, en collaboration avec l’Office des personnes handicapées du Québec.
La Société québécoise de déficience intellectuelle émet un seul bémol. Elle aurait préféré que le « score de fragilité clinique », qui mesure l’autonomie fonctionnelle d’un patient, soit complètement retiré du protocole, ce qui n’est pas le cas. Une personne obtenant une note de 7 ou plus (c’est-à-dire qu’elle est totalement dépendante pour les soins personnels, quelle que soit la cause, physique ou cognitive) ne sera pas priorisée aux soins intensifs lors d’une « situation extrême ».
Cette échelle s’appliquera toutefois uniquement aux patients de plus de 65 ans, et non plus à tous les malades comme dans la version précédente. Si la situation devient intenable dans le réseau de la santé, les gens âgés de plus de 50 ans seront également évalués en fonction du score de fragilité. « Ça nous apparaît quand même un compromis acceptable », dit Anik Larose.
Constante évolution
Marie-Ève Bouthillier souligne qu’une mise à jour du protocole était prévue, que les organismes de défense des personnes ayant un handicap eurent soulevé des enjeux ou non. Elle rappelle que le protocole s’appuie sur une littérature scientifique portant sur la COVID-19, qui est en constante évolution.
Il reste que cet exercice a toutes les chances de demeurer « théorique », répète Marie-Ève Bouthillier. Selon le ministère de la Santé et des Services sociaux, le réseau compte 1300 lits en soins intensifs. Actuellement, 82 patients souffrant de la COVID-19 se trouvent dans de telles unités, d’après le plus récent bilan de Québec.
La mise en oeuvre du protocole est prévue lorsque la surcapacité du réseau atteint 200 %. « Avant d’en arriver là, le COOLSI [équipe de coordination des lits de soins intensifs du Québec] s’assure de faire tous les transferts possibles et imaginables, précise Marie-Ève Bouthillier. Des chirurgies sont annulées et le réseau s’organise pour augmenter autant que possible sa capacité en affectant du personnel. »
L’objectif ? Repousser le moment fatidique lors duquel il faudra choisir quels patients pourront survivre grâce à un respirateur artificiel.