Des trousses d’autodépistage pour faire avancer l’éradication du sida au pays
Ces tests permettront de « contourner certaines barrières » et d’atteindre les personnes qui ne veulent pas, ou ne peuvent pas, se présenter dans une clinique
Les intervenants en santé communautaire et les spécialistes du sida les attendaient depuis plusieurs années, ces fameuses trousses d’autodépistage du VIH, car elles pourraient grandement aider à éradiquer le sida au Canada.
Ces autotests que quiconque peut utiliser pour savoir s’il ou elle a été infecté par le VIH ont reçu le feu vert de Santé Canada cette semaine et seront donc disponibles au Canada dans les prochaines semaines. « Ces trousses aideront sans contredit à atteindre la cible des 90-90-90 que s’est donnée l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour éradiquer le sida d’ici 2030 », affirme le professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal Benoît Mâsse, qui mène depuis 1995 des recherches sur les moyens de prévention du VIH .
Cet objectif des 90-90-90 vise dans un premier temps à ce que 90 % des personnes infectées connaissent leur statut afin qu’elles puissent se faire traiter et qu’ainsi 90 % des personnes infectées reçoivent un traitement antirétroviral qui réduit la charge virale à un niveau indétectable, ce qui permettrait que 90 % des personnes infectées ne transmettent plus le virus. Mais pour atteindre ces objectifs, il faudra bien sûr que tous les pays atteignent cette cible de 90-90-90 pour que l’on réussisse à éteindre l’épidémie.
Au Canada, nous n’atteignons toujours pas les objectifs de l’ONU, car on estime qu’environ 15 % des personnes infectées, soit près de 9000 personnes, ignorent leur statut. Les trousses d’autodépistage nouvellement homologuées au Canada devraient aider à remplir « la première étape du programme de l’ONU, car elles permettront le dépistage des personnes qui sont plus difficiles à rejoindre ou qui ne veulent pas se présenter dans une clinique », croit M. Mâsse, avant de rappeler que « le problème du VIH/sida est loin d’être réglé dans le monde, mais aussi au Canada, où le nombre de nouvelles infections est en hausse, passant de 2000 en 2014 à 2600 en 2018 ».
« En permettant de contourner certaines barrières pour les personnes, comme des hommes gais vivant dans des régions où il n’y a pas de cliniques spécialisées, et qui ne veulent pas aller se faire dépister dans une clinique [de médecine familiale] de peur de devoir dévoiler leur orientation sexuelle et ainsi de vivre de la discrimination, cette trousse d’autodépistage permettra d’augmenter le nombre de personnes infectées qui connaîtront leur statut », ajoute Mme Veillette-Bourbeau, agente de recherche au Département de sexologie de l’UQAM.
« Le VIH est très sournois », souligne M. Mâsse en expliquant qu’au tout début, l’infection ne se manifeste que par une petite fièvre qui disparaît sans laisser de séquelles apparentes. La personne demeure en santé pendant plusieurs mois avant que son système immunitaire ne se détériore et n’entraîne plusieurs problèmes de santé. Mais pendant ce temps, « les gens qui sont très actifs sexuellement peuvent transmettre à leur insu le virus à tous leurs partenaires, c’est pour cette raison qu’il est important de dépister » ces personnes infectées, mais asymptomatiques.
Le fait de pouvoir réaliser le test soimême dans le lieu et au moment qui nous conviennent le mieux accroît son accessibilité. De plus, les résultats sont obtenus très rapidement, car la goutte de sang prélevée au bout du doigt est simplement mélangée à des réactifs qui révéleront l’état sérologique de la personne en l’espace d’à peine quelques minutes.
Accessibilité et suivi
« Ça fait très longtemps, plus de 10 ans, qu’on attendait ce genre d’autotests rapides, car on en connaissait les avantages », affirme Mme VeilletteBourbeau. « Mais en même temps, on a toujours eu des craintes que quelqu’un apprenne un résultat positif alors qu’il est seul à la maison, car nous croyons qu’il est important que ces personnes soient bien accompagnées, reçoivent un soutien psychologique minimal, et surtout qu’elles soient liées à une clinique et à un médecin pour être suivies. On aurait souhaité que ces autotests se fassent sous supervision d’un agent communautaire, par exemple », et que la trousse comprenne « un numéro de téléphone accessible 24 heures sur 24 qui permettrait à la personne de joindre un professionnel de la santé », voire une clinique de sa région pour aller y faire un test de confirmation par prise de sang.
Si une personne obtient un résultat positif de son autotest, elle devra « dans un premier temps s’abstenir de comportements à risque afin de ne pas transmettre le virus à d’autres », rappelle M. Mâsse. Dans un second temps, elle devra aller dans une clinique pour procéder à un test de confirmation. Si ce dernier s’avère positif, on proposera à la personne la PPE (ou prophylaxie post-exposition) un traitement qui peut rendre la charge virale indétectable, et donc prévenir la transmission du virus à autrui.
Comme les personnes ayant des comportements à risque auront besoin de s’autodépister régulièrement, il ne faudrait pas que le coût de la trousse soit trop élevé, affirment M. Mâsse et Mme Veillette-Bourbeau, qui espèrent qu’elle soit distribuée gratuitement aux populations les plus touchées par le VIH.
« Cette trousse devrait être intégrée aux programmes de prévention visant les populations à risque », croit M. Mâsse.
Selon une étude menée par Joanne Otis, du Département de sexologie de l’UQAM, il ne faudrait pas que le coût d’une telle trousse dépasse les 20 $ si on veut que les personnes à risque l’utilisent.
Ces trousses Insti pourraient, semble-t-il, être vendues en pharmacie dans les prochaines semaines. Elles pourront aussi être commandées en ligne sur le site de la compagnie britannico-colombienne bioLytical pour être livrées à domicile.
Le service des relations avec les médias du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a confirmé que ce dernier « travaille déjà avec ses partenaires pour les informer et pour préparer l’arrivée de ces tests en vente libre ». Il souligne que « le fabricant de ces tests est responsable de leur commercialisation, de l’assurance qualité, du soutien nécessaire aux utilisateurs de ce produit et de l’orientation vers les ressources ».
« Nous n’avons pas été informés de la date d’arrivée de ces trousses sur le marché québécois ni du prix des tests. La distribution de trousses gratuites n’est pas prévue en ce moment », précise-t-il, tout en rappelant qu’au Québec, « il est possible d’effectuer gratuitement un test de dépistage du VIH ou des autres infections transmissibles sexuellement et par le sang [ITSS] en consultant son médecin de famille, en contactant son CLSC ou en consultant l’un des nombreux organismes communautaires qui offrent ce service. De plus, des Services intégrés de dépistage et de prévention des ITSS existent dans chaque région et visent à joindre les différents groupes vulnérables ».
Tout le monde salue cette approbation qui arrive bien après celle accordée par plus de 30 pays, dont les États-Unis et l’Europe. « Déposer une demande formelle d’homologation à Santé Canada coûte excessivement cher aux compagnies, et la préparation d’une telle demande est très lourde, c’est la raison pour laquelle les compagnies hésitent à se lancer dans de telles démarches pour un aussi petit marché que le Canada. Ce n’est assurément pas la faute de Santé Canada », fait remarquer M. Mâsse.
Au Canada, nous n’atteignons toujours pas les objectifs de l’ONU, car on estime qu’environ 15 % des personnes infectées, soit près de 9000 personnes, ignorent leur statut