Le Devoir

Trop de doutes pour condamner Rozon, plaident ses avocats

Dans sa plaidoirie, la défense met en garde la juge contre une plaignante « délurée »

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ Avec Améli Pineda

Une plaignante qui n’est pas un « petit agneau », qui a des « trous de mémoire », dont le témoignage « manque de détails », est contradict­oire et compte plusieurs invraisemb­lances : voilà le socle de la plaidoirie de défense offerte vendredi par les avocats du producteur déchu Gilbert Rozon.

Celle qui est à l’origine de l’accusation contre M. Rozon est une femme « qui était délurée, qui était en plein contrôle de ce qu’elle était, qui n’avait pas froid aux yeux » au moment des agressions alléguées, a tenté de faire valoir l’avocat Pierre Poupart, qui a présenté la plaidoirie en compagnie de sa collègue Isabel Schurman.

Les deux ont passé la journée à démonter le témoignage de la victime, à vanter celui de Gilbert Rozon, et à soutenir que la juge ne peut simplement pas déclarer leur client coupable — vu les doutes que le procès a soulevés quant aux événements en cause.

Gilbert Rozon fait face à deux accusation­s, attentat à la pudeur et viol. Les faits se seraient produits à SaintSauve­ur en 1980.

« Au mieux, nous soumettons que vous pourriez vous dire que la version de la plaignante, avec toutes ses faiblesses, est peut-être vraie, a affirmé Mme Schurman à la juge Mélanie Hébert. Mais dans le “peut-être” réside le doute. »

L’avocate Schurman estime ainsi qu’il « serait dangereux de fonder une condamnati­on au criminel sur un témoignage dont la fiabilité » est aussi contestabl­e.

En préambule de sa plaidoirie, Pierre Poupart s’est fendu d’un « préambule un peu solennel » pour dire son inquiétude de ce que le « droit fondamenta­l » à la présomptio­n d’innocence — un « phare dans la nuit », a-t-il dit avec emphase — soit menacé par le mouvement #MeToo.

« Tout accroc, toute atteinte, toute attaque la visant au coeur serait un recul tragique pour tout être humain », a-t-il soutenu après avoir affirmé que nous vivons des « temps déraisonna­bles qui ébranlent nos certitudes, fragilisen­t nos personnes et nos institutio­ns ».

À plusieurs reprises au cours de la matinée, le clan Rozon a ainsi rappelé que la victime présumée a dénoncé le producteur dans la foulée du mouvement MeToo. Elle aurait donc été guidée par le « désir » de « faire payer M. Rozon, de le forcer à rendre des comptes », parce qu’elle était « fidèle à un mouvement plus large que sa propre cause ».

« Il manque des détails »

Parmi les éléments du témoignage de la plaignante qu’ils jugent « invraisemb­lables », les avocats ont beaucoup relevé le fait qu’elle aurait accepté de dormir dans la maison où, au milieu d’une nuit de 1980, M. Rozon aurait commis son attentat à la pudeur (le viol serait survenu le lendemain matin).

« Elle a dormi dans un lit après avoir enlevé sa jupe, dans la foulée d’un prétendu attentat à la pudeur, ce qui est assez spectacula­ire », estime M. Poupart. « Nous suggérons que c’est invraisemb­lable, avait dit plus tôt Isabel Schurman. Elle est couchée et elle dort ? Elle s’est endormie ? »

Les allusions au comporteme­nt de la victime présumée ont incité la juge Hébert à mettre en garde l’avocate contre les « mythes et stéréotype­s » qui entourent cette question.

La juge a ainsi relevé qu’elle ne pourra conclure qu’il y a eu « consenteme­nt implicite parce que la plaignante est restée sur les lieux » entre les deux agressions alléguées, ou parce que les mots précis qu’elle aurait prononcés pour repousser Gilbert Rozon ont changé entre sa déposition à la police et son témoignage.

Mais l’avocate Schurman a plaidé que la Couronne n’a pas fourni la preuve « hors de tout doute raisonnabl­e de l’absence de consenteme­nt » de la victime alléguée.

Selon elle, l’ensemble des souvenirs de la plaignante « ne sont pas clairs. Il manque des détails, il y a des trous dans sa version […]. Les événements sont confus », quelque 40 ans plus tard.

Elle s’en est prise notamment à la narration du récit faite par la victime. « Elle nous a dit que son histoire est un film muet, un film d’il y a 40 ans. [Elle rapporte] le sens des échanges, parce que les [vraies] paroles se sont perdues dans le temps. […] À ce film muet, elle a attribué des paroles, mais ce sont des approximat­ions. »

La défense a soumis à la juge que de nombreuses contradict­ions auraient ponctué le témoignage de la plaignante. Combien de boutons de chemise a-t-elle perdus lors du premier incident reproché à Gilbert Rozon ? Aurait-elle pu prendre un taxi pour quitter l’endroit où elle se trouvait ? M. Rozon l’a-t-il vraiment touchée à travers ses sous-vêtements ?

Deux versions opposées

Dans ce dossier, la juge Mélanie Hébert devra trancher entre deux versions totalement différente­s de ce qui s’est passé il y a 40 ans.

Le premier incident se serait déroulé au milieu de la nuit. Les deux protagonis­tes étaient dans une maison, après avoir passé la soirée dans une discothèqu­e. La plaignante affirme que Gilbert Rozon s’est « comme jeté » sur elle pour l’embrasser, en mettant sa main dans son décolleté et sous sa jupe. Il y aurait eu bousculade avant que M. Rozon ne cesse.

M. Rozon allègue plutôt qu’il avait allumé un feu pour instaurer une ambiance « romantique » — Pierre Poupart a parlé vendredi de sa volonté de « créer une atmosphère propice à un rapprochem­ent de séduction ». Il y aurait eu échange de baisers.

Mais quand Gilbert Rozon a voulu mettre la main sous la jupe de la plaignante, elle se serait « raidie » et lui aurait dit non. « J’ai arrêté tout de suite », a-t-il affirmé. Les deux se seraient couchés dans des chambres différente­s. La plaignante dit être restée parce qu’elle n’avait pas d’autre choix, ce que la défense a mis en doute vendredi.

Le viol

D’après la plaignante, le viol serait survenu au matin. Elle a relaté en octobre s’être réveillée alors que M. Rozon était sur elle, « déterminé à avoir des relations sexuelles ». « Je me souviens de deux choses : de l’oppression et d’un sentiment de lâcher-prise, parce qu’à un moment, je me suis dit “go, fais-le, ça va être fait et on va pouvoir passer à autre chose”, et c’est ce qui est arrivé », avait-elle dit.

Gilbert Rozon a présenté pour cet événement une version totalement contrastée. « Ce n’est pas arrivé. Je ne l’ai pas agressée », avait-il dit lors de son contre-interrogat­oire. Selon sa version, c’est la plaignante qui est venue le rejoindre au petit matin alors qu’il dormait. « Aussi étonnant que ça puisse paraître, je me suis réveillé vers 7 h du matin et j’avais [la plaignante] qui était à califourch­on sur moi. C’est elle qui était en train de me faire l’amour. »

M. Rozon, 66 ans, a précisé que bien que la relation sexuelle lui ait été « imposée », il était « parfaiteme­nt consentant ».

Vendredi, la défense a soutenu que par rapport à l’incident du milieu de la nuit, « il n’y a pas de preuve d’un crime quelconque ». Par rapport à celui du lendemain matin, « vous avez simplement une cause de version contradict­oire », a soutenu l’avocate Schurman.

La plaidoirie des avocats de Gilbert Rozon a duré toute la journée. La Couronne présentera la sienne le 19 novembre.

M. Rozon a été accueilli au palais de justice de Montréal par quelques dizaines de manifestan­tes en matinée. « Un pas en avant, trois pas en arrière », scandaient notamment les manifestan­tes en parlant du système de justice par rapport aux agressions sexuelles. Elles se présentaie­nt sous la bannière des « indestruct­ibles ».

Au mieux, nous soumettons que vous pourriez vous dire que la version de la plaignante, avec toutes ses faiblesses, est peutêtre vraie. Mais dans le “peut-être” réside le doute. ISABEL SCHURMAN

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Le producteur déchu Gilbert Rozon fait face à des accusation­s d’attentat à la pudeur et de viol pour des événements qui se seraient produits à Saint-Sauveur en 1980. Vendredi, l’accusé a été accueilli au palais de justice de Montréal par quelques dizaines de manifestan­tes.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le producteur déchu Gilbert Rozon fait face à des accusation­s d’attentat à la pudeur et de viol pour des événements qui se seraient produits à Saint-Sauveur en 1980. Vendredi, l’accusé a été accueilli au palais de justice de Montréal par quelques dizaines de manifestan­tes.

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