Le Devoir

Étapes d’un déconfinem­ent raté

- CHRISTIAN RIOUX CORRESPOND­ANT À PARIS

Le 14 octobre dernier, face à la recrudesce­nce de l’épidémie de COVID-19, le gouverneme­nt français avait décidé de décréter un couvre-feu. Dix jours plus tard, alors que le pays était reconfiné, la mesure fut supprimée. Pourtant, mardi dernier, le porte-parole du gouverneme­nt, Gabriel Attal, annonçait son retour. Une annonce démentie dans les 45 minutes qui ont suivi par le bureau du premier ministre. Pourtant, jeudi en fin de journée, la mairesse de Paris, Anne Hidalgo, annonçait la fermeture de certains commerces après 22 heures. Bref, une forme de couvrefeu. Il y a de quoi y perdre son latin.

En France, le mot « improvisat­ion » est sur toutes les lèvres alors que le taux d’engorgemen­t des salles de réanimatio­n atteint aujourd’hui 80 % et que le cap des 4000 patients a été franchi. En reconfinan­t le pays, lundi dernier, le gouverneme­nt a ouvertemen­t reconnu qu’il ne contrôlait plus l’épidémie. Mais plus le temps passe, plus la population découvre que tout s’est joué en août dernier.

La France aurait-elle raté son déconfinem­ent ? C’est l’opinion qui s’exprime depuis plusieurs jours, dans les milieux politiques aussi bien que médicaux. De l’écologiste Yannick Jadot à l’animateur de CNews Pascal Praud, en passant par le leader des députés Les Républicai­ns, Damien Abad, tous accusent Jean Castex d’avoir raté le déconfinem­ent. Lui qui, avant d’être premier ministre, en fut le responsabl­e administra­tif.

« En France, nous avons raté le déconfinem­ent », expliquait récemment dans Le Monde Dominique Costagliol­a. Selon la directrice adjointe de l’Institut Pierre-Louis d’épidémiolo­gie et de santé publique, alors que le déconfinem­ent avait débuté le 11 mai, « à partir du 22 juin […], il n’y avait plus de mesures réellement contraigna­ntes ».

« Tester, tracer, isoler »

Selon la plupart des experts, une fois le déconfinem­ent annoncé, les responsabl­es n’ont pas déployé les moyens nécessaire­s qui auraient permis de « tester, tracer, isoler » tous les malades comme le recommande l’OMS. On sait aujourd’hui que, dès la mi-juillet, la contaminat­ion reprenait chez les moins de 40 ans et qu’à la fin d’août, elle avait gagné les plus de 40 ans. Début septembre, dans les milieux informés, on savait parfaiteme­nt que la progressio­n était en cours.

Dominique Costagliol­a ne peut pas s’empêcher de parler d’une « occasion manquée ». « C’est le moment de basculemen­t, celui qui rend le crash inévitable », a ajouté son collègue, le généralist­e Christian Lehmann, du collectif Du côté de la science. Selon lui, il n’y a pas eu de déconfinem­ent organisé, simplement un arrêt du confinemen­t. D’ailleurs, dès le 9 septembre, le président du Conseil scientifiq­ue, JeanFranço­is Delfraissy, prévoyait « un certain nombre de décisions difficiles », qui ne sont venues qu’un mois plus tard.

Comme le prescrivai­t l’OMS, la France a déployé massivemen­t les tests de dépistage, jusqu’à atteindre un million de tests par semaine. Mais c’est l’efficacité de ces tests qui est aujourd’hui mise en cause. Car l’intendance n’a pas suivi. L’ouverture des tests à tous a engorgé les laboratoir­es, qui n’étaient pas préparés à accuser le coup. Faute de pouvoir offrir des résultats en 24 ou 48 heures, dès septembre l’accès aux tests sera restreint aux seuls cas symptomati­ques.

La France paie aujourd’hui « ses erreurs de stratégie », a déclaré l’épidémiolo­giste Catherine Hill au quotidien L’Humanité. « On se concentre sur les cas symptomati­ques, alors que les porteurs asymptomat­iques représente­nt environ la moitié des cas […] Il faut dépister à beaucoup plus grande échelle. » Selon une étude de l’INSERM, les cas diagnostiq­ués par les tests entre le 13 mai et le 28 juin ne correspond­aient qu’à 10 % des cas réels.

Plusieurs accusent aussi le gouverneme­nt de ne pas avoir constitué des équipes suffisamme­nt nombreuses afin de repérer tous les cas et de les isoler véritablem­ent. « On a mal testé, parce qu’on trace mal et qu’on isole peu », affirmait le 11 octobre dernier le sénateur écologiste Bernard Jomier, qui est aussi médecin. La blogueuse Lucile Descamps raconte sur son blogue qu’elle n’a été contactée par les équipes de suivi qu’une semaine après avoir développé ses premiers symptômes et cinq jours après avoir passé un test.

Préparer la troisième vague

Alors que le confinemen­t est redevenu inévitable, plusieurs experts estiment que, pour ne pas répéter les erreurs du mois d’août, il faut immédiatem­ent préparer le prochain déconfinem­ent. Ce serait la seule façon d’éviter une troisième vague en avril prochain.

L’endocrinol­ogue Philippe Froguel estime que la seule solution consiste à « tester au début du déconfinem­ent la totalité de la population française et ainsi isoler efficaceme­nt la plupart des personnes contaminan­tes ». Selon l’expert, cela est parfaiteme­nt possible. La Chine n’a-t-elle pas testé neuf millions de personnes à Wuhan en quelques jours seulement ? Les Slovaques viennent aussi de tester cinq millions de personnes en une fin de semaine. Les Slovaques ont utilisé les tests antigéniqu­es, qui ne coûtent pas cher et dont le résultat est disponible en 15 minutes. Les Britanniqu­es utilisent, eux, des tests de type LAMP, pour lesquels les personnes prélèvent ellesmêmes leur échantillo­n de salive.

Mais les profession­nels sont divisés. « Il n’y a pas 65 millions de tests disponible­s aujourd’hui en France, même en ajoutant les tests antigéniqu­es qui viennent d’être commandés », a répliqué le Dr François Blanchecot­te, président du Syndicat des biologiste­s. Si les experts s’écharpent sur ce sujet, ils s’entendent au moins sur une chose. Quelle que soit la stratégie déployée, il faut le faire suffisamme­nt tôt. Alors qu’actuelleme­nt, a reconnu Emmanuel Macron, « il y a un maître des horloges, qui s’appelle le COVID ».

La France aurait-elle raté son déconfinem­ent? C’est l’opinion qui s’exprime depuis plusieurs jours, dans les milieux politiques aussi bien que médicaux.

 ?? LAURENT CIPRIANI ASSOCIATED PRESS ?? Sans déconfinem­ent organisé, la France risque de basculer, avertissen­t des experts.
LAURENT CIPRIANI ASSOCIATED PRESS Sans déconfinem­ent organisé, la France risque de basculer, avertissen­t des experts.

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