« Il y avait un virus avant la COVID qui porte le nom de Donald Trump »
L’élection de Joe Biden à la présidence américaine ramènerait la première économie mondiale « sur le chemin d’une forme de coopération internationale » dont on aura grandement besoin dans le futur, estime Pascal Lamy.
Le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) de 2005 à 2013 était l’invité d’honneur vendredi d’une conférence virtuelle sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le commerce international organisée par l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM) de l’UQAM. « Il y avait un virus dans le système international avant la COVID qui porte le nom de Donald Trump », y a déclaré d’entrée de jeu Pascal Lamy.
Homme politique américain « classique » ayant « une grosse expérience au gouvernement », le démocrate Joe Biden lui apparaît un adepte du multilatéralisme, « un peu protectionniste, il est vrai, comme le sont souvent les élus démocrates, mais qui remettrait les États-Unis sur le chemin d’une forme de coopération internationale ». Ce changement serait bienvenu après quatre ans de médecine Trump faite « de violence et d’exacerbation des antagonismes ». « Pour nous qui ne sommes pas Américains, c’est l’enjeu le plus important de ces élections. »
La crise sanitaire, économique, sociale et politique provoquée par la pandémie est venue aggraver la crise que traversait déjà le multilatéralisme. « Cela a été incontestablement un point bas de la coopération internationale. Où est le Conseil de sécurité [de l’ONU] ? Où est le G7 ? Où est le G20 ? On a vu la polémique autour de l’Organisation mondiale de la santé », déplore celui qui préside aujourd’hui un nouveau forum de coopération international construit autour d’acteurs non étatiques appelé Forum de Paris de la paix. Un rendez-vous crucial arrive rapidement autour de la question d’un éventuel vaccin qui, si rien n’est fait, pourrait n’être offert qu’à la moitié riche de l’humanité, prévient-il. « Ce qui serait une fracture du système international sans précédent. »
Montée de « précautionnisme »
Il y a aussi des choses qu’une élection de Joe Biden ne changerait pas, a précisé le socialiste français. L’une d’elles sera l’importance grandissante de l’Asie dans l’économie mondiale et la rivalité entre les deux géants américains et chinois. À ce chapitre, Donald Trump n’avait pas totalement tort en accusant la Chine de pratiques commerciales déloyales avec son omniprésence de l’État dans certaines industries et les nombreuses restrictions à l’accès à son marché intérieur.
Il s’attend également à ce que la pandémie accélère un passage du protectionnisme à ce qu’il qualifie de « précautionnisme ». Contrairement au premier, le second ne vise pas à protéger des entreprises nationales de la concurrence étrangère, mais les citoyens et les consommateurs contre divers risques sanitaires, phytosanitaires, environnementaux ou même culturels.
Conséquence logique de l’enrichissement et du vieillissement de populations qui sont prêtes à payer leurs biens et services un peu plus cher en échange de ces protections supplémentaires, ces normes peuvent constituer d’importants obstacles au commerce, surtout lorsqu’elles diffèrent d’un pays à l’autre. Mais pour en réduire les coûts, pas question de les traiter comme de simples tarifs douaniers, prévient le vieux négociateur. Il faudra plutôt chercher à les réconcilier dans une logique coopération.