Le Devoir

Quel avenir attend le personnage de Donald Trump ?

Le président atypique risque de faire éclater les convention­s des ex-présidents

- GUILLAUME BOURGAULT-CÔTÉ

«Donald Trump ne disparaîtr­a jamais vraiment […]. Il ne disparaîtr­a pas le 4 novembre, ni le 20 janvier [date de l’investitur­e du nouveau président], ni à sa mort, ni même dans 100 ans. Il sera peut-être ce que les futures génération­s connaîtron­t le mieux de notre époque. »

Voilà ce qu’écrivait en amont de l’élection Thomas Wright, directeur du Centre sur les États-Unis à la Brookings Institutio­n. Et il ajoutait dans The Atlantic qu’on ne se souviendra­it pas de Donald Trump pour ce qu’il a fait, « mais parce que le destin d’un roi fou est un genre de récit immortel. Le phénomène est rare, et donc captivant ».

Et c’est ainsi que s’ouvrira sous peu un tout nouveau chapitre dans la vie pas tout à fait ordinaire de Donald Trump : il deviendra un ancien président (à moins d’un quelconque rebondisse­ment). Mais oubliez tout ce que vous connaissez des post-présidence­s : celle-ci sera à l’image de ce que furent les quatre dernières années, estime l’historien Mark Updegrove. Parce que le « personnage » Donald Trump va survivre au-delà du processus électoral.

« Donald Trump sera aussi anormal dans ce rôle qu’il l’a été depuis quatre ans », prévient l’auteur de Second Acts : Presidenti­al Lives and Legacies After the White House, et longtemps directeur de la Lyndon B. Johnson Presidenti­al Library. « Il a renversé toutes les normes démocratiq­ues de ce pays — on l’a vu encore cette semaine. Il va aussi certaineme­nt renverser toutes les normes que respectent les anciens présidents. »

En premier lieu, dit-il : les « efforts très conscients faits par chaque ancien président pour s’assurer que la dignité et l’intégrité de la fonction ne sont pas entachées » par leurs activités postMaison-Blanche. Considéran­t la conception qu’a eue Donald Trump de cette fonction depuis 2017, il est permis de penser que ces notions seront mises à l’épreuve, dit poliment M. Updegrove.

Rester influent

« Si Donald Trump nous a confirmé une seule chose dans laquelle il est constant, c’est le fait qu’il défie constammen­t les normes, observe Vincent Boucher, chercheur à l’Observatoi­re sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand. C’est vrai comme homme d’affaires, et ça a été vrai comme président des États-Unis. Alors bien sûr qu’il va remettre en question les coutumes et les normes d’un ancien président. »

Voyons voir ce que cela pourrait impliquer. Mark Updegrove fait d’abord remarquer que Donald Trump quittera ses fonctions alors que plus de 69,5 millions d’Américains viennent de voter pour lui : c’est le deuxième plus haut total de l’histoire (derrière Joe Biden, évidemment). Ce qui veut dire : une influence immense.

Il pourrait ainsi « vouloir continuer à avoir l’air d’agir comme un président des États-Unis, pense Vincent Boucher. Surtout si la victoire de Joe Biden est très mince. Ce serait tentant pour lui de dire : “Moi je pense que cette élection a été truquée, on m’a volé la présidence”. Il le fait déjà, mais pourrait continuer, et rester à Washington dans son hôtel pas loin de la Maison-Blanche, organiser des forces politiques… »

Un président fantôme, en somme. Vincent Boucher évoque une « sorte de Maison-Blanche rebelle, qui n’aurait évidemment aucun pouvoir formel, mais qui aurait un pouvoir de perturbati­on très grand. Donald Trump a démontré qu’il est un excellent perturbate­ur du cours des choses. Je le vois continuer d’utiliser Twitter comme il le fait [c’est-à-dire : tout le temps, et souvent en majuscules], tenir des rassemblem­ents pour créer de l’instabilit­é politique ».

Et cela, pour nourrir un scénario que plusieurs envisagent : une candidatur­e de Donald Trump à la présidenti­elle de 2024 — il aurait alors 78 ans, un an de plus que Joe Biden cette année… « N’oublions pas qu’il est encore le leader clair de son mouvement politique, relève Vincent Boucher. S’il décide de commenter tous les aspects de

Le destin d’un roi fou est un genre de récit immortel. Le phénomène est rare, et donc captivant. THOMAS WRIGHT

la politique pendant quatre ans, il pourrait très bien aspirer à être candidat à la prochaine élection. »

Occuper les médias

Mark Updegrove voit la même finalité — une nouvelle candidatur­e —, mais au terme d’un parcours post-présidenti­el qui passerait par la mise sur pied d’une sorte d’empire médiatique conservate­ur « qui lui permettrai­t de relayer sa plateforme, ses enjeux — et surtout de faire sa propre promotion, notamment pour 2024 ».

Parce que voilà : Donald Trump est d’abord au service de Donald Trump, rappellent les deux experts. « Dans le passé, on a vu plusieurs anciens présidents utiliser leur influence, leur image pour porter des causes à travers des fondations », rappelle Vincent Boucher en évoquant notamment les cas de Jimmy Carter (prix Nobel de la paix en 2002) et de Bill Clinton. « Mais il est évident que la cause qui sera portée par Donald Trump et ses proches sera la cause de l’organisati­on Trump… qui est bien sûr à but lucratif. »

L’homme d’affaires ne manquera d’ailleurs pas de défis : des médias américains ont rapporté qu’il devra renouveler d’ici 2024 quelque 900 millions de dollars de prêts qui arrivent à échéance et qui soutiennen­t une part importante de l’empire Trump.

On ne connaît pas exactement la fortune de Donald Trump — sauf qu’elle serait moins grande que ce qu’il affirme. Par contre, il n’y a aucun doute aux yeux de Mark Updegrove qu’il saura s’enrichir grassement en faisant ce que Barack Obama, George W. Bush ou Bill Clinton font ou ont fait.

D’une part : des tournées de discours publics — il est dit qu’Obama touche jusqu’à 400 000 $ par allocution ou séance de questions-réponses comme celle qu’il a tenue au Centre Bell. De l’autre : un livre de mémoires. « Il y aura un énorme intérêt autour de ça », pense M. Updegrove.

Un parc d’attraction­s ?

Pour avoir dirigé la Lyndon B. Johnson Presidenti­al Library, Mark Updegrove s’intéresser­a évidemment à celle que Donald Trump érigera… ou pas. Parce qu’il ne doute pas, encore ici, que Trump fera les choses à sa manière — en dehors du système et à son propre profit.

Il rappelle qu’aux États-Unis, ces bibliothèq­ues — qui sont en fait des musées, certains avec vocation particuliè­re (celle qui honorera Barack Obama comptera un lieu de forum qui servira à faire émerger « la prochaine génération de leaders ») — sont généraleme­nt érigées grâce à des donateurs, puis elles sont administré­es par un bureau gouverneme­ntal.

Un modèle suivi par tous… mais qui ne peut convenir à Donald Trump, dit M. Updegrove. Pour le futur ex-président, il imagine plutôt un musée dont il contrôlera­it toutes les ficelles et qui servirait surtout à raconter sa vision de l’histoire… à sa manière.

Vincent Boucher est d’accord. « Puisque les bibliothèq­ues présidenti­elles sont généraleme­nt un peu à l’image des présidents, je n’ai pas de mal à imaginer une sorte de parc trumpiste, dit-il. Peu importe la forme, ce sera quelque chose qui va surtout servir à amasser de l’argent et à passer son message. »

Mais bon : il n’y aura pas de bibliothèq­ue présidenti­elle avant longtemps. Et d’ici là, il reste encore deux mois et demi à la présidence de Donald Trump, « un intermède pendant lequel il peut prendre des décisions importante­s et continuer à laisser son empreinte sur la politique nationale et internatio­nale », relève M. Boucher.

Après ? Personne ne sait. Mais entre Twitter et des dizaines de millions de personnes qui le soutiennen­t, « on peut s’attendre à absolument tout » de Donald Trump, résume Mark Updegrove.

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